Ce week-end, Disney + sera à l’honneur ! Depuis le lancement de ce service de SVOD, beaucoup se sont plaints du manque de nouveautés sur la plateforme. Des réactions  en partie liées à la politique d’une firme qui ne cesse depuis 20 ans de focaliser l’attention du public sur ces nouvelles licences acquises à prix d’or (Star Wars, Marvel…) au détriment le plus souvent de ses créations historiques. Il est clair qu’en matière de contenus inédits, Disney + fait pâle figure par rapport à Netflix. Néanmoins il ne faut jamais oublier le caractère patrimonial de ce service de SVOD, qui nous permet de voir « presque » la totalité (attention un nouveau « Les films que vous ne verrez pas sur Disney + va arriver bientôt ! ») du catalogue d’un géant de l’entertainment qui aura 100 ans en 2023. Pour ma part, si j’ai pris l’abonnement à Disney +, c’est surtout pour revoir des classiques du studio mais aussi découvrir ou redécouvrir des raretés produites par le studio qui méritent d’être à nouveau sous la lumière de projecteurs.

Je vous causerai donc ce week-end de 2 titres méconnus et pourtant très réussis produits par Disney. Après avoir abordé Natty Gann, je vous propose aujourd'hui de découvrir le film d’animation Le Crapaud et le Maître d'École !

Retrouvez Le Crapaud et le Maître d'École sur Disney + : Lien

La Seconde Guerre mondiale a mis à mal les finances de la firme Disney dont une grande majorité des ressources venaient du marché international. Des temps difficiles pour créer de nouveaux longs-métrages surtout quand vos studios sont occupés du jour au lendemain par l’armée pour entreposer du matériel de guerre. De plus, Disney voit une partie de ses animateurs réquisitionnés afin de fournir des dessins animés de propagandes tels que Donald Gets Drafted ou Der Führer’s Face.

Convaincu de la nécessité pour survivre de proposer des longs-métrages en salles afin de rester dans le coeur des Américains, Walt va produire pendant les années 40 plusieurs films dits de package. En gros ce sont des programmes de plusieurs courts-métrages.  Le premier film de package à sortir en salles est Saludos Amigos. La naissance de ce projet est liée à des contraintes économiques et à l’implication personnelle de Walt Disney dans le conflit. En effet, suite à la demande du Département d'État des affaires latino-américaines de défendre les valeurs américaines en Amérique du Sud, Disney passe donc la frontière mexicaine avec ses collaborateurs et des représentants du gouvernement américain pour porter la bonne parole. De ses voyages, le studio ramènera des esquisses, des ambiances musicales, mais aussi des images en 16 mm de Walt et de ses équipes là-bas. Le fruit de ce travail est visible dans Saludos Amigos qui s’avère au final un savant mélange de prise de vues réelles entrecoupées de cartoons. Sur le même principe, sortiront durant les années 40, Les trois Caballeros, La Boîte à Musique, Coquin de Printemps et enfin Mélodie Cocktail. Alors que le studio était exsangue économiquement, ces programmes composés de différents courts-métrages se sont avérés beaucoup moins chers à produire, permettant au studio de ne pas fermer ses portes. Équipes plus réduites, pas de scène complexe à réaliser avec de nombreux personnages ni de problème de continuité, les contraintes étaient moins importantes sur ces films que pour un long-métrage traditionnel.

Le Crapaud et le Maître d'École annonce l’âge d’or du studio dans les années 50. En effet, redevenu solide financièrement au moment de la sortie du film en 1949, Disney pourra envisager à nouveau de produire des longs-métrages racontant une seule histoire sur une heure et demie. De plus, Le Crapaud et le Maître d'École , à la différence d’autres programmes produits durant la guerre, est riche visuellement et doté d’une animation de grande qualité annonçant les réussites futures. Si ce film est considéré comme un « Grand Classique Disney », les deux moyens métrages qui composent cette oeuvre ont été ensuite séparés lors de leur diffusion à la télévision ou dans le cadre des sorties VHS.

Avec Le Crapaud et le Maître d'École , le studio nous propose de redécouvrir deux chefs-d’oeuvre de la littérature anglo-saxonne. Le premier moyen métrage intitulé La Mare aux Grenouilles est une adaptation du Vent dans les Saules de Kenneth Grahame, classique de la littérature anglaise qui narre les aventures de Crapaud et de ses amis. Un roman typique de la fantaisie animalière qui reste à ce jour l’une des  plus marquantes oeuvres pour la jeunesse. Quant au second moyen métrage, il adapte La Légende de Sleepy Hollow écrite par Washington Irving, tout simplement un récit fondateur de la littérature américaine.

Par rapport aux précédentes films de package de Disney durant les années 40, les auteurs n’essayent pas ici de nous imposer un pseudo fil rouge narratif entre les deux moyens métrages. On passe tout simplement d’un classique de la littérature à un autre via des plans de livres dans une bibliothèque. Dès que la première histoire commence, on comprend aisément pourquoi la critique de l’époque considère Le Crapaud et le Maître d'École comme un retour aux affaires * de la firme en matière d’animation. Les aventures de M. Crapaud et sa bande dans La Mare aux Grenouilles sont réellement splendides. Doté d’une grande fluidité, le film multiplie les scènes d’anthologie comme lors du procès de crapaud. L’affrontement dantesque entre nos héros et les belettes (qui reviendront dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ) a été ainsi réutilisé comme modèle d’animation dans d’autres productions de chez Disney comme Le livre de la jungle . Enfin, cerise sur le gâteau, La Mare aux Grenouilles n’est pas manichéen. Si les auteurs nous rappellent le comportement frivole du crapaud, la phrase finale du narrateur est quand même une sacrée déclaration d’amour aux doux rêveurs. Ce premier moyen métrage a très bien vieilli, c’est un récit haletant et parfaitement animé.

Le second moyen métrage La légende de la vallée est bien plus fidèle à l’histoire de La Légende de Sleepy Hollow écrite par Washington Irving que la version de Tim Burton . À ce titre, la dernière séquence qui voit apparaître le cavalier sans tête est, encore à ce jour, une référence du cinéma d’animation. D'une fluidité exemplaire, son découpage est vraiment riche avec de nombreux plans qui font monter le suspens. Quant à sa photographie, elle rappelle par instant le magicien des couleurs, Mario Bava .

Ce moyen métrage est également l’un des rares Disney à mettre en scène un antihéros. Notre protagoniste principal est un arriviste qui profite de son savoir lié à sa fonction d'instituteur pour se remplir la panse en profitant des habitants du village où il officie. Dans une séquence hilarante, les animateurs mettent en scène de façon grotesque ses rêves de grandeur, afin de nous révéler que son intérêt pour la jolie Katrina est avant tout pécunier. Enfin, le film propose un final plutôt cynique qui fait de La légende de la vallée endormie une oeuvre singulière dans l'histoire d'un studio connu pour ses happy ends. À noter que ce moyen métrage a été une grande source d’inspiration pour les équipes de Disney sur La belle et la bête. Les deux dessins animés possèdent en effet des plans semblables. Quant au personnage de Gaston, c’est la copie conforme de Brom dans La légende de la vallée.

Le Crapaud et le Maître d'École est un joyau de l'animation à découvrir de toute urgence. Un film qui n'a rien à envier aux classiques du studio !

Mad Will

*La plupart des plans de La Mare aux Grenouilles auraient été réalisés en 1941. Le film aurait été ensuite mis de côté pendant des années.