Signé David Dufresne, Un pays qui se tient sage est un documentaire sur les violences policières et de façon plus générale sur l’usage de la force par l’autorité publique et ses conséquences politiques. Le titre fait référence  à la phrase «voilà une classe qui se tient sage » dite par un policier face à 151 lycéens de Mantes-la-Jolie que les forces de l’ordre venaient de faire mettre à genoux, le 6 décembre 2018.

Le but de David Dufresne est de passer d’une recension des faits de violence à une analyse politique de ces faits. Auréolé du grand prix du journalisme 2019 pour avoir lancé une  cartographie autour des violences policières « allo@Place_Beauvau », David Dufresne

s’inquiète dans le film de la raison de ces actes. Sont-ce de simples bavures ou la mise en place (consciente ou inconsciente, programmée ou dérive) d’un système ?

Ces interrogations le conduisent à se questionner sur l’essence de la démocratie. Est-on encore en démocratie quand les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ont été pérennisées et qu’on assiste à de telles violences institutionnelles ?

Le réalisateur se garde bien de répondre directement à ces questions, encore moins de proposer des solutions, ou pire de donner des directives. Il souhaite laisser le champ libre au questionnement, faisant réagir devant sa caméra les personnes blessées et leur famille, des historiens, sociologues, syndicalistes de tous bords, personnes diverses de la société civile… Il veut ici confronter le citoyen à l’usage de la force par l’État.

Il nous rappelle que la démocratie c’est la possibilité de l’expression d’un questionnement, au contraire de la dictature qui est une certitude imposée. Dire que la démocratie provoque le consensus est faux. Au contraire, pour lui, la démocratie est un dissensus. Chacun doit pouvoir s’exprimer en donnant des avis divergents.

David Dufresne va donc nous livrer les réactions et interviews sans utiliser de titrage pour éviter l’effet « avis d’expert ». Au vu des images on ne sait pas qui commente et on se concentre ainsi sur ce qui est dit, sans l’a priori de la fonction ou du statut social. Il veut ici filmer tout le monde sur le même pied d’égalité. Bien sûr certains sont néanmoins repérables par leur discours préfabriqué et mainte fois entendu, mais on est souvent surpris d’entendre des avis plus nuancés et surtout appropriés et circonstanciés.

Le réalisateur va mettre au même plan les vidéos amateurs partagées par les internautes et les captations professionnelles afin de nous faire réfléchir sur ces images qui envahissent notre quotidien que ce soit sur les chaines d’infos ou les réseaux sociaux. Un exemple très intéressant est le décryptage par un des commentateurs d’images de violences de la part de manifestants à l’encontre de cinq policiers à moto. Le fait de poser une analyse « à froid » ouvre des perspectives, que le commentaire « à chaud » interdit. Il ne faut jamais oublier qu’au-delà des images brutes (et malheureusement le plus souvent brutales), il y a comment et quand on les voit, et ce que l’on en fait.

Un film sur un sujet brûlant d’actualité qui ouvre un questionnement lucide sur comment nous vivons notre démocratie.

Laurent Schérer