Drôle de coïncidence ! Le film, À cœur battant, tourné avant la crise de la Covid par la réalisatrice israélienne Kerren Ben Rafael nous présente deux êtres, Julie (Judith Chemla) et Yuval (Arieh Worthalter) qui communiquent par visioconférence. Ici le « confinement » n’est pas dû à la maladie mais au simple oubli d’un tampon sur un document administratif. Yuval se retrouve bloqué à Tel Aviv où il faisait une visite à sa famille tandis que sa femme et sa petite fille sont restées en France.

En laissant les écrans allumés du matin au soir d’une façon quasi permanente, comme si les deux éléments du couple étaient toujours physiquement présents, la réalisatrice renverse la donne. Ce qui devient signifiant ce n’est plus l’appel, mais le fait de s’éloigner de la caméra ou pire de l’éteindre. Ce n’est plus « je t’appelle parce que j’ai envie de t’entendre ou de te voir » mais « j’éteins parce que je ne te supporte plus ».

Le canal de communication, traduit à l’image par des plans le plus souvent fixes, ne devient mobile que lorsque l’un des personnages change de pièce en emmenant l’ordinateur ou quand il le bouge pour faire découvrir à l’autre un élément précis du décor. Au contraire d’un appareil qui suivrait les personnages dans leurs actions en leur laissant toute liberté, la caméra est vécue ici comme un poids qui gêne la mobilité, freinant de ce fait les possibilités de mouvements et donc la liberté des personnages.

Paradoxalement cette surveillance fait le lit de la suspicion et d’une certaine jalousie. D’une part parce que la vue ne remplace pas le toucher, (problématique oh combien actuelle !) et qu’à penser que tout est montrable, ce qui reste dans l’ombre  - par contrainte technique ou par intention délibérée - devient pour l’autre encore plus suspect. La question est alors : qu’en est-il de l’amour dans notre monde connecté ? Au moins, quand on écrivait des lettres, celles-ci étaient moins intrusives, moins dérangeantes et … pouvaient toujours s’égarer.

Par ailleurs cette mise en images permet à la réalisatrice de se poser d’autres questions que celles de l’amour et de la communication par écrans interposés. A-t-on gagné ou perdu avec les nouvelles technologies de communication ? L’écran qui est sensé nous rapprocher ne nous éloigne-t-il pas plutôt ? Ainsi, en réduisant le jardin secret de chaque être, la caméra voyeur ne déstabilise-t-elle pas une relation en obligeant à chaque instant chacun à être sur le qui-vive et disponible ? Le sujet du film ne peut être réduit à une réflexion sur la technologie et l’amour car il traite aussi de sujets aussi vastes et variés que la parentalité́, les relations familiales, le manque, la séparation, l’altérité́, les différences culturelles...

Une œuvre passionnante sur une relation de couple connecté… pour le meilleur et pour le pire.

Laurent Schérer