Bienvenue dans l'antre du bis, une nouvelle rubrique (qui deviendra éventuellement mensuelle) qui j'espère vous fera rugir de plaisir comme une certaine barre chocolatée. Revenons sur un cinéma où l'ambition n’est jamais en adéquation avec le budget alloué. Dans l'antre du bis, les plateaux de tournage se limitent à un studio de 30 M2, le créateur des effets spéciaux est souvent la même personne que l'assistant qui distribue les cafés et les acteurs, même les plus prestigieux, jouent mal comme dans un film érotique suédois des années 70 qui aurait été doublé en langue des signes. Dans cet univers, vous pouvez oublier toute notion esthétique, le kitch et le sublime ne font qu’un. L’antre du bis réunit en son sein (il n’oublie pas d’en faire voir parfois ) des cinéastes passionnés à la sincérité évidente. Aujourd’hui, je propose de partir dans l’espace avec Luigi Cozzi et son Star Wars italien, le bien nommé Starcrash : Le Choc des étoiles !

Mais au fait que raconte Starcrash ?

Aux confins de l'univers, le maléfique comte Zarth Arn s'oppose à l'Empire et à son bienveillant empereur. Deux aventuriers, Stella Star et Akton, reçoivent de l'empereur la dangereuse mission de trouver la base secrète de Zarth Arn…​​​​​​​

Starcrash est l'oeuvre d'un homme que tous les amoureux du Bis aiment tendrement, le bien nommé Luigi Cozzi, connu pour avoir été le premier homme à envoyer un ours dans l'espace avec son kitchissime Hercule interprété par Lou Ferrigno. Cozzi s’est fait connaître du monde du cinéma en tant que collaborateur de Dario Argento au même titre que Lamberto Bava. Coscénariste du maître sur Quatre mouches de velours gris, il s’occupera entre autres des effets optiques du Phenomena que signe Dario en 1985.

Cozzi a développé dans les années 70 un script mêlant le film catastrophe et le space opera, où un gigantesque vaisseau en mode Titanic s’échouait contre les anneaux de Saturne. Il part voir Nathan Wachsberger, producteur d'origine américaine oeuvrant essentiellement en Europe pour lui vendre ce projet. L’homme lui répond alors « Mon Luigi ! Ton script, je n’en veux pas. Écris-moi plutôt un truc à la Star Wars et je te produis ».  Notre réalisateur italien répond alors par l’affirmative à la proposition.

Le seul problème, c’est que Luigi n’a pas vu Star Wars qui ne sort en Italie que quelques mois plus tard. Comment faire ? En bon filou, il arrive à trouver une novellisation du film de George Lucas dans une librairie italienne et laisse son imagination faire le reste. Il aurait ainsi écrit le développement du film en moins de trois jours. Que voulez-vous, pour les dieux du bis, il est plus rapide de créer un univers que pour notre Père éternel ! Il faut bien se l'avouer, Cozzi c’est ce genre d’artisan un peu douteux qui vient chez vous inspecter un dégât des eaux dans votre salle de bain et précise qu’il va tout régler dans la journée si vous le payez en liquide. Vous revenez le soir et c’est maintenant l’appartement tout entier qui est sous les eaux. Mais le bonhomme affable vous offre son plus grand sourire et vous explique que la situation s’est améliorée. Au final, il arrêtera l’écoulement avec du sparadrap, mais quelques mois plus tard c’est toute la robinetterie qui sera à changer.

Le budget de Starcrash est validé par Nathan Wachsberger. Notre réalisateur italien préféré se retrouve alors à la tête d’une équipe italienne qui n’a strictement aucune idée de la manière dont les effets spéciaux sont faits dans Star Wars ou 2001 alors que le tournage doit commencer dans quelques semaines. Mais le bonhomme n’est pas inquiet comme le prouve cette réunion de travail dont voici la retranscription (elle est issue de mon imagination, mais elle ne me semble pas si éloignée que ça de la réalité).

Cette scène se passe dans un restaurant italien sur une quelconque place romaine.

L’équipe des effets spéciaux (deux frères qui travaillaient auparavant au département comptabilité) : Le tournage va commencer et on n'a toujours rien fait.

Luigi Cozzi : Arrêtez de vous stresser les gars. Un drap noir, des loupiotes et je te fais l’espace. Et puis on a Caroline Munro en bikini avec ça on est sûr de réussir.

L’équipe technique : Et pour les vaisseaux comment on fait ? Sur Star Wars, ils étaient nombreux pour les faire, nous on est que deux.

Luigi Cozzi : Vos gamins, ils ont des legos. Vous n'avez qu’à leur demander de faire les vaisseaux spatiaux !  Cela fera des économies pour la production qui n’aura pas besoin de les payer.

L’équipe des effets spéciaux :  Comment réussir à les filmer et à les incruster ?

Luigi Cozzi (excité) : On mettra plein de lumières. Il y aura des éclairages rouges, bleus, jaunes et verts. Les gens vont être émerveillés par tant de couleurs et ainsi ils ne verront pas les défauts. Le problème des Américains, c’est les couleurs, ils font des films tout gris.

Au même moment, un touriste japonais du nom de Shigeru Miyamoto qui travaille pour Nintendo passe par là.

Luigi Cozzi : Les gars on n'a qu’une seule limite : l’imagination !

Cozzi se retourne alors en direction du patron du restaurant.

Luigi Cozzi : Mario tu peux me remettre un verre de vin?

Le patron : Oui Luigi !

Le film n’a jamais les moyens de ses ambitions. Cozzi semble s’être arrêté aux prémisses du cinéma muet recyclant les tours de Méliès. Le réalisateur italien qui se réclame de Ray Harryhausen, ne propose jamais des images aussi travaillées et réussies que dans le Jason et les argonautes de Don Chaffey ou même le King Kong de 1933. Problèmes de perspective et d’échelle, incrustations bâclées, Starcrash est véritablement un long-métrage d’un autre temps conçu par un homme qui essaye de nous faire du Star Wars avec des jouets volés au Toys"R"Us du coin.

C’est pourtant l’aspect bricolé voir amateur du film qui lui donne un certain charme. Starcrash ressemble en effet au spectacle de l'école de vos enfants que l’on regarde ému alors que les mômes jouent tous très mal et que les décors faits avec beaucoup amour tombent en morceaux pendant la représentation.

Cozzi aurait pu même travailler au sein des magasins Ikea au lieu de gérer la boutique d'Argento. Il est en effet très fort pour reprendre le même décor dans lequel il change seulement la disposition des meubles pour créer les nombreux intérieurs des vaisseaux. Concernant les extérieurs du film, il part filmer la décharge du coin ou la plage polluée à 50 kilomètres de là pour simuler les planètes visitées par Stella Star et ses compagnons espérant que l’imagination des spectateurs fera le reste !

Le film se caractérise par sa volonté de multiplier les péripéties sans tenir compte de son budget et des contraintes techniques. Le réalisateur maintient un rythme effréné durant une bonne heure et demie. Les héros affrontent ainsi des amazones, des troglodytes, des robots et conduisent des vaisseaux lors de nombreux combats spatiaux. Cozzi adopte ici la naïveté des bandes dessinées des années 50, en offrant un spectacle qui se veut total et dont le but est de divertir le spectateur. Il réalise ici un rêve d'enfant. Pas de psychologie, juste une aventure semblable aux histoires que se racontent les gosses à la récréation avec une multitude de Deus ex machina qui résolvent les différentes épreuves imposées aux protagonistes par le récit. On pense particulièrement au personnage d'Akton qui nous apprend à la moitié du métrage qu’il peut prédire le futur.  Grâce à ce subterfuge scénaristique, il sauve de nombreuses fois Stella d’une mort certaine.

Akton est interprété par Marjoe Gortner qui fut à l’âge de 4 ans le plus jeune prédicateur ordonné aux USA. En 1972 dans le documentaire oscarisé Marjoe, il révéla qu'il était un non-croyant et indiqua les tactiques utilisées par les autres évangélistes pour manipuler les gens. Un destin assez extraordinaire (quand je vous dis que l’histoire du bis est riche) pour un acteur qui semble beaucoup s’amuser à défaut de bien jouer dans le film. À ses côtés, nous avons Caroline Munro ancienne mannequin et James Bond Girl au physique avantageux. Cette brune incendiaire est la véritable héroïne du film, sorte de Han Solo en bikini noir. Que ce soit elle, David Hasselhoff (à ses débuts), ou le méchant incarné par Joe Spinell, on a l’impression que tout le casting est retombé en enfance, s’amusant à jouer des personnages d’opérette. En effet, ils se rendent compte que tout ceci n’est pas très sérieux surtout quand le décor menace de s’écrouler à chacun de leur mouvement.

À noter la présence dans le rôle du robot policier de Judd Hamilton, le mari de Munro, dont les blagues grivoises ont selon la légende participé à la franche rigolade générale dans un film postsynchronisé (le son était fait après le tournage) où l’on n’entendra jamais ses calembours. Seul interprète à traverser le film sans jamais lever le moindre sourcil, Christopher Plummer semble sous Lexomil. L’acteur plutôt connu est venu deux ou trois jours cachetonner et profiter de l’excellente restauration locale romaine avant de repartir et d’essayer de faire disparaître de sa filmographie le nom de Cozzi. Totalement amorphe, il passe tout son temps dans une seule pièce qui fait figure de salle de couronnement. Cadré de dos ou en gros plan, il est évident que Cozzi a réutilisé plusieurs fois les mêmes plans pour allonger la durée de sa prestation à l’écran.

Et pourtant malgré tous ses défauts, Starcrash reste l'un des mètres étalons du cinéma bis où l’imagination débordante de son réalisateur est capable de faire vous oublier les défauts techniques de l'ensemble. Un long-métrage qui est le reflet d'une personnalité attachante du cinéma qui voulait réaliser ses rêves de space opera européen, tournant le jour avec les acteurs et supervisant la nuit des effets spéciaux faits de bric et de broc.

Ce long-métrage a une place essentielle dans l'histoire du 7ème art italien, car il annonce la fin d’une cinématographie populaire européenne trop artisanale dans sa fabrication qui n'arrive plus à proposer des produits rivalisant techniquement avec les USA. Starcrash c’est le dernier souffle d’un cinéma italien qui faute de moyens va de plus en plus maladroitement singer Hollywood jusqu’à sa mise à mort par la télé berlusconienne pour le plus grand malheur des cinéphiles. Starcrashest l'incarnation d'un cinéma populaire qu’on aimait tant et qu'il est indispensable d’honorer en regardant cette perle du Bis !

Mad Will