Contrairement à de nombreux films qui nous présentent les personnes handicapées de l’extérieur avec un fort discours valorisant « regardez de quoi ils sont capables », point de vue qui les fait parfois ressembler à des bêtes de foire, ou pire, qui s’apitoient sur leur sort, le documentaire J’irai décrocher la lune signé Laurent Boileau, nous permet de partager les pensées profondes, intimes et même les doutes de ces personnes dans leur vie « ordinaire ».

Comment Laurent Boileau a-t-il réussi ce film extraordinaire (au sens premier du terme) ?
Il a suivi six trentenaires trisomiques : Stéphanie Gabé, Mario Huchette, Éléonore Laloux, Gilles- Emmanuel Mouveaux, Robin Sevette, Élise Wickart, dans leur vie quotidienne. Ils logent en appartement, travaillent, pratiquent des activités artistiques, bref vivent en quasi-autonomie. Ils ont seulement besoin d’aide pour leurs comptes, la gestion de leurs papiers administratifs mais vivent chez eux, font leurs courses, se préparent à manger et reçoivent leurs amis et leur famille. Bref des personnes qui ont une vie sociale. Grâce à un travail en immersion dans la durée, le réalisateur a pu gagner la confiance de ces personnes qui ont accepté de se livrer face à sa caméra. Ce qui est intéressant, ce n’est pas tant les moments de vie captés par le réalisateur que le fait qu’il arrive à faire s’exprimer ses trentenaires trisomiques sur ce qu’ils ressentent. C’est parfois dur, parfois drôle mais c’est toujours authentique.

Le résultat ce sont des séquences très fortes à l’écran où Robin se livre et dit au réalisateur : « tu vois le vrai Robin, pas la personne atteinte de trisomie 21, tu vois le vrai moi, ça, ça me fait
plaisir ». On pense également à cette scène où Élise réagi à une émission de radio dans laquelle un des intervenant déclare que « Les trisomiques sont un poison pour une famille » et qu’elle s’emporte : « On n’est pas du poison, il n’a pas le droit de dire cela ». Mais il y a aussi des dialogues plus léger telle cette discussion avec Stéphanie autour de sa grand-mère où elle plaint son père : « cela ne doit pas être drôle d’avoir une mère qui perd la tête ».

Un autre point rare de ce long-métrage c’est d’avoir pu recevoir des témoignages précis de leurs employeurs, La MDPH où Robin est employé au service du courrier, une crèche et une école où Élise est ADSEM, qui notent les progrès réalisés par le jeune homme et la jeune fille depuis leur embauche. Cela montre bien que ces personnes handicapées ne sont pas figées dans leur handicap mais sont aussi capables d’évoluer, leur cerveau étant plastique comme celui d’un non- trisomique. Bien sûr l’apprentissage est plus complexe, moins rapide, mais il est possible ! On ne peut donc enfermer ces personnes en déclarant : trisomique tu es, trisomique tu es condamné à le rester en leur interdisant toutes possibilité de progrès.

Aider ce n’est pas faire à la place de l’autre c’est lui laisser la possibilité de faire par lui-même dans le respect de son être. Si l’on veut aider ces personnes handicapées à se développer et à progresser, c’est à l’environnement de s’adapter et non l’inverse. C’est toute la problématique à laquelle chaque parent d’enfant trisomique est confronté durant toute sa vie. Et c’est ainsi que ces femmes et hommes que l’on suit dans le film ont progressé malgré leur handicap.

Un magnifique long-métrage à découvrir en VOD ou DVD.

Laurent Schérer

Le film est actuellement disponible sur UniversCiné à l'adresse : https://www.universcine.com/films/j-irai-decrocher-la-lune