Adolescente, Chavela Vargas fuit son Costa Rica natal et sa famille pour mener une vie plus libre au Mexique. Dans les rues puis dans les cabarets de Mexico fréquentés par l’élite intellectuelle, la jeune femme renouvelle la ranchera, chanson populaire mexicaine. Alors que toutes les autres chanteuses de ce genre musical interprètent des standards en prenant des poses stéréotypées engoncées dans des robes moulantes, la señora Vargas se démarque de ses consœurs en se produisant sur scène vêtue de pantalon, les cheveux tirés, buvant de la tequila et fumant des cigares. Dans les années quarante, ce féminisme avant la lettre attire sur elle la curiosité du public mexicain et lui vaut un succès croissant à l’international jusqu’à la fin des années soixante-dix, époque à laquelle elle disparaît pendant quinze ans, en proie à l’alcoolisme. La chanteuse de ranchera renaît finalement de ses cendres grâce à une famille d’Indiens qui l’initie au chamanisme. A 72 ans, elle part alors à la conquête de l’Europe où elle est introduite par son ami Almodóvar, pour les films desquels elle interprète quelques magnifiques morceaux de bravoure. Dans le texte intitulé « Adieu volcan » qu’il lui dédie au moment de sa mort, le maestro espagnol remercie la maestra mexicaine d’avoir su « transform[er] l’abandon et le désespoir en une cathédrale dans laquelle nous tombons tous, et de laquelle nous sortons réconciliés avec nos propres erreurs, prêts à les commettre à nouveau, à réessayer une nouvelle fois. »

C’est parce qu’elle appartenait comme elle à la communauté queer que la documentariste Catherine Gund a commencé à s’intéresser à cette femme hors du commun, lors d’un voyage qu’elle effectua à Mexico en 1991. Alors en passe de tomber dans l’oubli, l’immense chanteuse lui a accordé avec plaisir plusieurs heures d’entretien dans sa maison d’Ahuatepec. Ces images d’archive restés inédites, dans lesquelles on peut voir Chavela Vargas discuter avec un groupe de jeunes admiratrices, constituent le fil rouge du documentaire, auquel viennent s’entremêler les témoignages des personnes qui l’ont bien connue et les captations de ses concerts. Dans ces dernières, on apprécie le soin qu’ont pris les documentaristes d’inscrire les paroles des chansons dans une surimpression élégante, qui nous permettent de mesurer la poésie que la grande dame a choisi de sublimer par sa puissance vocale. Cela concourt à faire de Chavela Vargas le portrait à la fois juste et passionnant d’une femme extraordinaire, aussi profondément élégiaque que résolument anti-nostalgique, qui défendait si pertinemment l’universalité plutôt que l’éternité de l’amour !

F.L.