Le documentaire Histoire d’un regard : à la recherche de Gilles Caron de Mariana Otero est une enquête cinématographique fascinante sur des photographies qui habitent la mémoire, celles du célèbre photographe de guerre Gilles Caron disparu au Cambodge en 1970 à l’âge de trente ans. Celui-ci a couvert des évènements importants, comme la guerre des Six Jours, celle du Vietnam, ou encore les émeutes de mai 68 et la guerre en Irlande du Nord. Son travail prolifique fait de lui un témoin et un acteur de l’histoire, et la cinéaste lui rend un hommage juste et émouvant.

Mariana Otero conduit le spectateur dans un voyage à travers les photographies et la vie de Gilles Caron, en mettant en scène tout son long travail de recherche. En racontant la construction de son film, elle raconte aussi l’histoire du photographe, utilisant différents dispositifs pour chaque évènement relaté. La voici par exemple devant son ordinateur, examinant les nombreuses photographies de mai 68, dont celle très célèbre de Daniel Cohn-Bendit souriant malicieusement à un policier lui faisant face devant La Sorbonne. En voix-off, elle s’adresse directement à Gilles Caron, le tutoyant, comme pour créer un dialogue familier et intime. Petit à petit, un parcours se dessine, à travers la rue Saint-Jacques et la rue des écoles. Mariana Otero comprend alors que le photographe recherche un point de vue idéal, et remarque que deux rouleaux de pellicules ont été inversés. Elle en déduit les différentes tentatives et les échecs, pour finalement arriver à la conclusion que cette fameuse photographie n’était pas un coup de chance, mais bien le résultat d’une sorte de filature.

Le voyage se poursuit ensuite avec la découverte des photographies de plateau que Gilles Caron a faites sur les tournages de plusieurs réalisateurs de la Nouvelle Vague, comme François Truffaut ou Jean-Luc Godard, sorte de légers moments de pause entre deux reportages de guerre. Difficile de s’imaginer que quelques mois plus tôt, Gilles Caron, armé de son appareil photo, parcourait les rues de Jérusalem aux côtés des soldats israéliens pendant la guerre des Six Jours. À nouveau, Mariana Otero retrace son itinéraire, jusqu’au Mur des Lamentations. Cette fois-ci, elle est aidée par Vincent Lemire, historien spécialiste du Proche Orient. Ensemble, ils regardent les photographies développées qu’elle a accroché au mur, et les font parler. Gilles Caron a photographié le quartier maghrébin, dont il ne restera plus rien quelques heures après. Il a vu l’avant et l’après, ses photographies témoignant d’un présent qui n’est déjà plus. 

Le voici ensuite au Vietnam, où il fait plus de 3 000 photographies et documente la guerre, puis en Irlande, où les affrontements entre les protestants et les catholiques font des ravages. Mariana Otero se rend sur place et marche dans les pas du photographe. Elle tente de compléter son portrait, recherchant toujours une présence à partir des photographies. Elle souhaite comprendre une histoire à la fois personnelle et collective, reconstruire les évènements pour donner aux photographies tout leur sens.

Gilles Caron a laissé derrière lui des images à déchiffrer, et la cinéaste entre dans la subjectivité du photographe. Avec son film, elle fait un portrait de regards : celui de Gilles Caron bien sûr, celui de ceux qui sont photographiés, mais aussi le sien et celui du spectateur. Mariana Otero rappelle la puissance de l’image et rend ainsi un merveilleux hommage au photographe.

Camille Villemin