Dans une Havane de carte postale (la photographie est signée Cathal Watters), Jesus, la sensualité chevillée au corps, retrouve son macho de père au moment même où il fait ses premiers pas comme chanteuse travestie dans un cabaret. Les deux ne font évidemment pas bon ménage. Pour couronner le tout, son père espérant illusoirement être embauché comme entraîneur de boxe, toute la charge économique de leur foyer repose sur son maigre salaire de coiffeur. Alors qu’il aurait bien besoin des pourboires qu’il obtient lorsqu’il chante en femme, son père lui interdit de retourner au cabaret…

Au lieu de faire du désir de travestissement de Jesus le centre du film, Paddy Breathnach a l’intelligence de le laisser à sa juste place, celle d’un loisir comme les autres, et de filmer sans pathos excessif la force expressive de cette activité accusée trop rapidement par ses détracteurs de révéler la faiblesse des hommes qui s’y adonnent. La finesse du scénario réside aussi dans le lent cheminement que père et fils vont effectuer pour accepter l’autre dans sa différence. Ainsi le père continuera de préférer la boxe et d’affirmer sa virilité, mais comprendra petit à petit que la violence n’est pas forcément la voie qui facilite la vie des hommes. Et le fils tiendra bon pour continuer à vivre l’intensité du cabaret, tout en laissant à son père le temps qu’il lui faut pour évoluer.

Ce regard à la fois lucide sur les impasses de l’autre et confiant dans la capacité de résilience des êtres à qui l’on tend la main, Paddy Breathnach l’applique également aux personnages satellites, chez lesquels se côtoient grandeur et misère, égoïsme et générosité. Ainsi de la meilleure amie de Jesus, profiteuse mais fidèle. Ainsi de son employeur Mama, intransigeant mais concerné. Ainsi de son père, alcoolique brutal sincèrement mu par l’envie de changer.

Enfin, alors que les cinéastes ont trop tendance à éluder magiquement la question de la subsistance matérielle, la caméra de Paddy Breathnach suit son protagoniste dans ses courses quotidiennes, filme la variation du volume des rations de féculents au gré des fluctuations de son salaire, les réserves qui se vident, puis se remplissent à nouveau lorsqu’il est contraint de se prostituer... Bien qu’il n’oublie donc pas le poids de la contrainte économique, le réalisateur n’y enferre pas ses personnages. Il leur offre une fin utopique, pleine de l’espoir et de la tendresse qui innerve tout le film, et qui fait son charme.

F.L.