Quand on parle de cinéma en Nouvelle-Zélande, on évoque d’emblée Peter Jackson. Une vision réductrice quand on sait que cet archipel du Pacifique est la patrie de réalisateurs tels que Jane Campion (une Palme pour La Leçon de piano ), Andrew Niccol (Bienvenue à Gattaca ), Martin Campbell (Casino Royale) , Geoff Murphy (Utu ) ou encore Roger Donaldson (Le Bounty et Sens unique ).

Comme beaucoup de cinéphiles, j'ai connu Taika Waititi grâce à sa comédie fantastique Vampires en toute intimité . Cette œuvre nonsensique lui a en effet permis d'accéder à la reconnaissance internationale grâce à sa diffusion dans de nombreux festivals. Il faut dire que ce faux documentaire sur une collocation entre vampires démontrait déjà un solide sens de la comédie de la part de son réalisateur. Après un dernier film tourné en Nouvelle-Zélande et intitulé À la poursuite de Ricky Baker , il part réaliser son premier long-métrage américain pour le compte de Disney. Alors que la firme aux grandes oreilles a tendance à écraser les velléités artistiques des metteurs en scène qu'elle emploie, son Thor : Ragnarok va s’avérer le plus réjouissant des productions Marvel. Derrière la grosse machine hollywoodienne, on discernait pour une fois un vrai regard de cinéaste à travers le recours à un humour burlesque dans un univers inspiré par le kitchissime Flash Gordon de Mike Hodges.

Avec Jojo Rabbit , il renoue pour notre plus grand plaisir avec le cinéma indépendant et signe l'un des meilleurs films de ce début de nouvelle année.

Que raconte le film ?

Elevé par Rosie, une maman forte, indépendante et anti-nazie, Johannes, 11 ans, est un petit Allemand inscrit aux jeunesses hitlériennes où sa taille et sa timidité lui valent d'être harcelé par ses petits camarades. Comme tous les enfants, Jojo a un ami imaginaire. Sauf que le sien s'appelle... Hitler. Un jour, Jojo découvre Elsa, une jeune fille juive cachée dans sa maison et comprend que tout ce qu'on lui a dit sur les juifs n'était que mensonge...

La critique du film :

Adopter le point de vue d’un enfant est un exercice difficile au cinéma. En effet, il est aisé d’appliquer aux chérubins sa vision d’adulte quand on est un réalisateur qui a quitté les bancs de l’école depuis longtemps. Taika Waititi arrive cependant avec beaucoup de brio à nous faire partager la vision de son jeune héros formaté par les jeunesses hitlériennes. La guerre au début du film est ainsi perçue comme un jeu où le juif est un monstre de contes de fées. Quant à Adolf Hitler, il devient l’ami imaginaire de notre héros. Le premier tiers du film fait ainsi beaucoup penser à du Wes Anderson avec une esthétique surannée et résolument factice. Taika Waititi nous confronte ici à l’imaginaire de son héros et use de la meilleure arme contre le totalitarisme : le rire.

Nous rigolons ici du décalage entre la réalité d’une situation et la perception que peut en avoir notre jeune héros dont la propagande a totalement annihilé le jugement. Des scènes comme la visite de la Gestapo sont tordantes, car le réalisateur souligne avec brio l’absurdité d’un régime bureaucratique avant tout grotesque, où la haine a annihilé toute forme d’intelligence.

Mais résumer le film à une simple comédie serait une grave erreur. En effet, Jojo Rabbit est avant tout le récit de la déradicalisation d’un enfant dont le jugement a été altéré par une société haineuse. Une intoxication de l'esprit que même sa mère ne parvient pas à briser. À ce titre, le recours à un ami imaginaire dans le film est un procédé qui permet au réalisateur de personnifier un endoctrinement qui se rappelle à l'enfant à chaque fois que celui-ci essaye d'échapper aux horreurs qui lui ont été inculquées. 

Mais là où le réalisateur s’avère vraiment brillant, c’est dans sa manière de passer de la comédie au drame. En effet, à mesure que l’endoctrinement du garçon n’altère plus sa vision, la réalité de la guerre s’impose à lui. Cette évolution commence avec la découverte de la jeune fille juive qui est cachée par sa mère. Alors que dans un premier temps, il est prêt à la dénoncer, il finit par y renoncer en raison des conséquences pour sa famille. Mais petit à petit la présence de l'adolescente va lui permettre de remettre en cause l’idéologie nazie dont la société l'a abreuvé. Une évolution qui s’imposera au spectateur par le biais d’une scène absolument glaçante filmée à hauteur d’enfant (que je ne vous spolierai pas) où le personnage principal tout comme le spectateur feront face à l’horreur. Dès lors, Jojo pendra conscience des massacres du 3ème Reich dans le dernier tiers du film où sera mis en relief l’absurdité d’un régime qui condamne sa propre jeunesse au nom d’une idéologie nauséabonde.   

Une mention spéciale au casting du film. Taika Waititi est vraiment excellent en Hitler d’opérette qui cristallise l’absurdité et la bêtise crasse du régime. Quant à Sam Rockwell et Rebel Wilson qui jouent respectivement un officier blasé et une infirmière zélée, ils sont impeccables au même titre que nos jeunes héros Thomasin McKenzie et Roman Griffin Davis. Seule l’interprétation de Scarlett Johansson, dans le rôle de la mère du héros, m’a laissé circonspect car l’actrice a des tics de jeu comme son sourire en coin qui me font sortir du personnage.

Taika Waititi a pris un risque en signant une comédie autour de l’endoctrinement nazi et réussit plutôt brillamment l’exercice. J’aurais seulement quelques réserves concernant l'absence de scènes où le jeune héros se confronte à son ami imaginaire, quand il prend conscience de son endoctrinement. En l’état le personnage d’Aldof Hitler interprété par Taika Waititi ne sert pas forcément la narration et existe surtout pour appuyer le discours du cinéaste. Néanmoins avec un sujet aussi difficile que celui du nazisme perçu par le biais de l’imaginaire d’un enfant de 10 ans, le réalisateur parvient à nous faire réfléchir, rire et même pleurer.

Jojo Rabbit confirme que le cinéma américain après 1917 a encore de grands films à nous offrir. À voir absolument en salles en ce début d’année.

Mad Will