La Communion a pour point de départ un fait divers hautement cinégénique : dans une petite ville de Pologne, un jeune homme de dix-neuf ans s’est fait passer pour un prêtre pendant plusieurs mois, assurant parfaitement les cérémonies, des messes aux enterrements… jusqu’à ce que la supercherie soit découverte, révélant que le garçon n’avait suivi aucun séminaire ni été ordonné par un quelconque membre de l’institution. Mais sa nouvelle approche de la religion, loin du dogme officiel, avait eu le temps de conquérir un bon nombre de fidèles, le plaçant même au-dessus de ses prédécesseurs.

De cette folle histoire est né le personnage de Daniel, le protagoniste de cette Communion, écrite par Jan Komasa avec l’aide de son scénariste, le journaliste Mateusz Pacewicz. Leur version des faits est un peu plus romancée : Daniel, un jeune garçon violent et tourmenté découvre le christianisme en maison de redressement. La religion l’a détourné du mal qui l’habitait et lui a permis de se racheter un semblant de conduite. C’est sans doute ce qui le pousse, lorsqu’il retrouve la liberté, à déserter les bancs de l’usine qui l’attendait pour endosser son rôle de prêtre fictif. Le petit village où il atterrit facilite son mensonge car ses habitants n’y sont pas tellement d’humeur à faire la causette ni à poser de questions, depuis qu’un terrible drame les a tous plongés dans une torpeur constante. Mais tandis qu’une poignée de curieux commencent à enquêter sur le passé de Daniel, resserrant dangereusement l’étau autour de son mensonge, le pseudo repenti poursuit sa quête du bien et parvient même à réguler des conflits que l’on pensait à jamais insolubles.

Le scénario laisse peu d’indices sur les réelles motivations de Daniel, mais toute la crédibilité du personnage réside dans l’étonnante interprétation du comédien Bartosz Bielenia. Les yeux perçants et la peau translucide, l’acteur porte sur son visage tout le paradoxe de Daniel, une candeur mélangée à la désillusion d’un garçon aux violents antécédents. Son rôle de prêtre est d’abord une alternative confortable à l’usine (il est aussitôt logé et accueilli à bras ouverts) mais se transforme en une réelle vocation à laquelle il croit lui-même dur comme fer.  Puisque le pardon lui est refusé, Daniel se l’octroie et passe du statut de délinquant à celui de confesseur . Avec une caméra au plus près de ses personnages, baignés dans une lumière glaciale, Jan Komasa filme l’étranger face à la masse, et par extension le Bien contre Mal, dont les frontières sont souvent troubles. Le film, très sombre, ne contourne cependant pas l’ironie que son sujet engendre : l’ambivalence de Daniel peut avoir des vertus comiques, comme par exemple lorsqu’il s’abandonne à une danse effrénée sur fond de musique techno après le solennel d’une cérémonie de messe.

La Communion dresse un portrait de la campagne polonaise scindée en deux, opposant la nouvelle génération à l’ancienne, conservatrice, et encore très marquée par le passé dramatique du pays, ici représenté par un événement plus intime qui lie secrètement les habitants. La place de la religion est également un facteur majeur de la fracture générationnelle, et l’arrivée de Daniel avec sa prêche révolutionnaire amène les fidèles à questionner leur définition de la foi. Même si le film s’ouvre et se ferme dans la violence, il n’exclut pas que le débat, salvateur, est toujours possible.

 

Suzanne Dureau