Aujourd’hui retour sur un film culte des années 80, le bien nommé Les Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e dimension, titre oh combien trop long que je réduirai donc à Buckaroo Banzaï pour ne pas user le clavier mécanique alloué par ma direction.  
J’entends déjà s’exprimer certains esprits chagrins au sein du lectorat de CCSF réclamant ma crucifixion sur l’autel de la respectabilité en m’accusant de galvauder le terme culte pour des œuvres qui ne mériteraient que le dédain ! Halte à ce sacripant de Mad Will qui participe à la revalorisation de films peu glorieux ! Stop à cette relecture historique du cinéma où les nanards occupent plus de place que les chefs-d’œuvre de Bergman ! À mes ennemis je leur rétorquerai le sourire aux lèvres que le terme culte n’a jamais désigné un bon film, mais plutôt une œuvre cinématographique qui a marqué son époque par son originalité, son ton atypique créant une ferveur dans une communauté de fans.

Mais au fait que raconte Buckaroo Banzaï ?

Neurochirurgien de renom et spécialiste de la physique des particules, Buckaroo Banzaï est un personnage original, qui passe son temps libre à fabriquer d'étranges bolides et à animer le groupe de rock le plus célèbre du Texas. Entre une opération et un concert, il explore la huitième dimension à bord de ses engins et combat des créatures souvent étranges et belliqueuses. Un jour, lord Worfin, un être démoniaque, s'échappe de l'asile dans lequel il était détenu, ayant pris possession du corps du docteur Emilio Lizardo. Worfin a désormais besoin du vaisseau de Buckaroo Banzaï pour retourner chez lui, grâce à la huitième dimension...

Dès la lecture du synopsis, il était évident que ce long-métrage allait marquer ces jeunes spectateurs de l'époque même si leur nombre fut retreint en 1984 (le film ne fut pas un succès, ne gagnant sa renommée qu’avec le marché vidéo). En effet, Buckaroo est un rêve d'adolescent devenu film où un jeune homme opéra le matin, découvre une nouvelle dimension qui révolutionne les sciences l’après-midi et part enfin jouer du Van Halen le soir dans des bars sans avoir oublié de s’entraîner au Kendo entre chaque activité.

Tout cela est bien sérieux ? Eh bien non… Pour autant, je vous rétorquerai qu’un épisode de James Bond avec Roger Moore ou encore Sean Connery n’est pas beaucoup plus réaliste. De tout temps, le cinéma a permis la projection des fantasmes des spectateurs son époque. Le Bond de Connery reflétait ainsi les désirs de toute-puissance masculine des années 60. Avec Buckaroo, le réalisateur W. D. Richter et son scénariste Earl Mac Rauch essaient de coller à leur époque en nous offrant un héros geek en mode James Bond à la cool, inspiré par les comics de super héros où tout est possible.

Pour analyser ce film, il faut évoquer son réalisateur W. D. Richter qui a surtout œuvré comme scénariste à Hollywood en signant plusieurs scripts, dont celui des Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin  et du remake de Philip Kaufman de l’Invasion des profanateurs. Voir son nom associé à Buckaroo est tout sauf un hasard, surtout quand on connaît les films précédemment cités. En effet, l'extravagance et l'humour sont de mise dans Jack Burton et Buckaroo, pour autant la mise en scène de Richter fait vraiment pâle figure par rapport à celle du réalisateur d'Halloween. En effet, Richter n’est pas un grand cinéaste, illustrant assez platement le scénario de Earl Mac Rauch. Pas vraiment à l’aise dans les scènes d’actions, il a aussi beaucoup à créer du mouvement, à proposer un point de vue dans les scènes dialoguées. À ce titre, il est incapable de construire la moindre tension dans son film même dans les situations dramatiques où certains compagnons du héros meurent. Enfin l’hommage aux films d’invasion des années 50 avec cette cohorte d’extraterrestres à la sale gueule qui peuplent la terre aurait mérité d’être plus mis en valeur par une mise en scène jouant sur les classiques telle la série Les envahisseurs. Malheureusement Richter ne fait aucun choix en termes de réalisation, se contentant de proposer des plans larges assez anonymes tout le long du récit.

Le film fourmille d'excellentes idées comme lorsque les héros évoquent Orson Welles qui aurait été victime d'un lavage de cerveau après avoir vu une réelle invasion d'extraterrestres. Mais l’absence de mise en scène dessert trop souvent ce long métrage. On le voit particulièrement à travers l’histoire d’amour du film qui n'est jamais incarnée. De même, beaucoup de situations absurdes qui possédaient un fort potentiel comique ne seront jamais totalement exploitées comme avec le formulaire d’entrée en guerre des USA version « Pour les nuls » remis au président par les militaires. Les dialogues bien écrits sont à ce point surréalistes qu’ils seront répétés par une communauté de fans dans les conventions où le film est projeté. Pour autant Richter ne les met jamais en valeur.  Des perles telles  "Non, non, ne tirez pas là-dessus, vous ne savez pas à quoi ça peut être rattaché » déclamé par un chirurgien lors de l’opération du cerveau, tombent à plat malgré leur potentiel à animer le zygomatique des amateurs d'humour absurde. On sent que Richter est prisonnier de la nécessité de faire un film qui marche pour faire des suites. Avec un script aussi fou et truffé d’humour, il aurait fallu un cinéaste qui assume le foutraque de l’ensemble et tire le meilleur de ses comédiens comme le John Landis des Blues Brothers. La comédie au cinéma est un art qui nécessite des experts capables avec leur caméra de renforcer l'impact de leurs scènes comiques.

La direction d’acteurs laisse ainsi à désirer alors qu’à l’écran on retrouve une sacrée collection de trognes du cinéma. Si certains acteurs tels que Christopher Lloyd (le doc de Retour vers le futur), Clancy Brown (le Kurgan d’Highlander), Peter Weller (le héros de Robocop) et Jeff Goldblum (La mouche, Jurassic Park) ne semblent pas toujours concernés, un comédien au contraire se lâche totalement dans le film : M. John Lithgow.
John est un « bon » acteur, mais comment dire, il est parfois totalement… incontrôlable. On se rappelle entre autres de ses interprétations à la limite du supportable comme dans L'Esprit de Caïn de De Palma. Et bien, Buckaroo c’est avant tout le "John Lithgow show", il fait n’importe quoi, repoussant les limites du surjeu et de l’excentricité au cinéma. On en vient même à se demander s'il a lu le scénario tellement il semble en improvisation totale.
John nous offre une performance digne d’un spectacle de clown interprété sous amphétamines. Ce sont donc les limites de Richter en tant que metteur en scène qui font que l'oeuvre possède un certain charme tant elle échappe au contrôle de son créateur. Une interprétation pareille participe au statut culte du film !

Malgré une mise en scène pas toujours à la hauteur, Buckaroo possède un univers très riche. Le générique final en est une preuve flagrante. Nous retrouvons tout d'abord un intertitre sur fond noir qui nous annonce carrément le deuxième épisode jamais tourné : The Adventures of Buckaroo Banzaï : Against the World Crime League. Puis les crédits du film défilent sur des images d'un Peter Weller qui est rejoint petit à petit par toute son équipe. Dans Buckaroo, un univers mythologique est présent, mais à l’état embryonnaire.  On aimerait ainsi savoir l’origine de chaque personnage et leur surnom, le trauma vécu par Buckaroo devenu veuf ou la raison pour laquelle Goldblum s’habille en cowboy. Buckaroo Banzaï est donc un long-métrage bancal où les pistes narratives non exploitées sont tellement nombreuses qu’elles suffiraient à créer autre film qui n’existe pour l'instant que dans l'imaginaire de ces fans.

Bide commercial en salles devenu populaire grâce à ses diffusions à la télévision et son exploitation en vidéo, Buckaroo Banzaï a été cette année dans l'une des plus grosses productions de l'histoire du cinéma :  Ready Player One  réalisé par Steven Spielberg. Ce classique des soirées entre cinéphiles déviants ne sera jamais le meilleur film du monde. Pour autant, son originalité en fait un divertissement à découvrir pour comprendre ce qui fait qu’un film mal aimé à sa sortie devient une œuvre culte 30 ans plus tard.

Mad Will