Tristement célèbre pour son état de délabrement, les Baumettes abritent près de deux mille détenus dans des conditions maintes fois dénoncées. Mais pour Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, les vingt-trois jours de tournage autorisés dans la maison d’arrêt de Marseille n’ont pas été l’occasion de réaliser un reportage « choc » sur les dessous de la prison, (même s’il est impossible de ne pas poser un regard effaré sur les murs en lambeaux des neufs mètres carrés des cellules partagées) mais d’aller à la rencontre des femmes et hommes qui peuplent l’établissement.

De loin on penserait à une équipe de foot de seconde zone. Maillots de sport floqués d’un logo d’une grande marque, coupes de cheveux ambitieuses, accent bien marqué et surtout étonnamment jeunes, les détenus apparaissent à la caméra comme de sympathiques gamins qui jurent à leur directrice que la case police les a bien vaccinés. Mais les séances de mises au point avec la surveillante pénitentiaire rétablissent la vérité : la plupart, âgés de moins de trente ans, en sont à leur troisième voire septième incarcération. « Vous n’êtes pas non plus un enfant de cœur, sinon vous ne seriez pas là hein » rappelle non sans humour la matonne à l’adolescent repenti qui lui fait les yeux doux pour éviter un prolongement de peine. Cette femme, multi képis, sermonne les délinquants mais écoute aussi leurs peines et leurs revendications, avec une attention qui raye le cliché du gardien de prison aimable comme la porte de son établissement.

Derrière les cellules blindées on rencontre des hommes, des histoires, des êtres humains qui cherchent à s’en sortir, certains avec plus de conviction que d’autres. Des amitiés aussi, qui se lient, entre les détenus qui communiquent par le trou d’un mur, s’échangent des cigarettes contre du café et jouent aux cartes pendant des heures.

Même s’il met en lumière la grande humanité qui peut se cacher derrière ses barreaux, le film ne pouvait décemment pas faire passer les Baumettes pour un camp de scouts. En hors champ la violence existe, par exemple dans les bruits de couloirs qui indiquent qu’un garçon de 24 ans a été battu à mort pendant la promenade. La question qui n’a cessé de planer sur le milieu pénitencier se repose à nouveau : la prison favorise-t-elle le crime et la récidive ? Le film tente d’y répondre lors d’une séquence très intéressante entre juge, avocat et condamné qui discutent par écran interposés d’une éventuelle remise en liberté d’un trafiquant de cocaïne. Alors que la juge semble pessimiste à l’égard de l’avenir du détenu, son avocat explose de rage et dénonce un système carcéral illogique. S’en suit un long silence, l’incapacité de décider si un délinquant est plus dangereux dehors que dedans.

Des hommes pourrait être la suite documentaire de Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin. Que serait devenu Dylan, le gamin des quartiers Nord que l’on quittait alors qu’il entrait en prison avec la certitude d’en ressortir gagnant ? Probablement la même chose que Monsieur Fernandez et les autres, un être souffrant de la solitude, ayant rejoint les magouilles de ses camarades pour se faire accepter. Puis, à sa sortie, devant affronter la déconsidération du monde du travail, et, dans le pire et malheureusement le plus souvent des cas, étant prêt à refaire sa valise pour les Baumettes. Mais en mettant en avant la positivité, la motivation et surtout l’humour de ses sujets, le duo Odiot Viallet dresse un portrait bien moins sombre et plein d’espoir de ces vies en prison.

S.D.