À Rio de Janeiro, la Casa Nem est un lieu connu de toutes les personnes transgenres. Ce squat devenu refuge en 2016, est un lieu d’accueil pour toutes les minorités, trans, gay, bi, et/ou prostitué(e)s. À la tête de ce radeau de fortune, une femme,  Indianara, dont le documentaire d’[[Personne:53113 Aude Chevalier-Beaumel]] et [[Personne:265347 Marcelo Barbosa]] porte le nom. Il faut dire qu’avec son caractère bien trempé, celle qui se définit comme “une personne avec des seins et une bite” est un personnage extraordinaire, portant à bout de bras toute une communauté en dépit du danger que cela peut représenter. Car Indianara n’est pas qu’une mère d’accueil pour marginaux échoués, son courage et son engagement font d’elle une figure de lutte contre l’État brésilien qui ne cesse de reculer en matière d’égalité. Sur un morceau de papier, Indianara note les noms et prénoms de ceux qui ont été assassinés à cause de leur orientation sexuelle ou leurs opinions. Parmi eux se rajoute tragiquement Marielle Franco, tuée en mars 2018 parce qu’elle représentait le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et défendait les droits LGBT. Derrière ses lunettes noires, Indianara, que l’on pensait solide comme un roc, ne retient pas ses larmes.

Mais le film est aussi celui d’une célébration. Lorsque la Casa Nem ouvre ses portes à la caméra, on y découvre une installation très sommaire, habitée par une bande de joyeux drilles, solidaires et tous emprunts d’une étonnante autodérision. Rejetés mais ensemble, les squatteurs se mettent aux fourneaux, se chamaillent, réfléchissent à des plans d’attaque. La fête et la danse font partie de leur quotidien, surtout lorsque l’on célèbre un mariage des plus improbables : celui d’Indianara né Sergio Siquera, devenue femme trans à 12 ans puis prostituée à 16, avec Mauricio, un ancien militaire issu d’une famille conservatrice et catholique. Leur union est une réponse implacable aux préjugés, à la montée de la haine, à l’aune de l'élection de Jair Bolsonaro à laquelle on assiste en direct quelques séquences plus tard.

Le documentaire oscille ainsi entre drame et réjouissance, au gré des humeurs de la Casa Nem que les réalisateurs ont pu filmer durant deux ans, jusqu’à sa fermeture en 2018. Le charisme de la maîtresse des lieux met tout de suite à l’aise, les corps, tous différents, sont acceptés. D’ailleurs personne ne se cache, on cuisine nu, on fait la révolution les seins à l’air, on n’a pas peur d’être une femme avec un pénis. Indianara et ses “enfants” ont compris que leur corps pouvait être l’instrument de revendications, et à défaut de pouvoir en parler librement, les corps transformés ou abîmés racontent les histoires de chacun. En ce sens, le film du duo franco-brésilien [[Personne:53113 Aude Chevalier-Beaumel]] et [[Personne:265347 Marcelo Barbosa]] leur rend un bel hommage, laissant une trace de leur combat que l’on imagine perdu d’avance face au rouleau compresseur totalitaire.  

S.D.