Immersif ! Voilà comment il serait possible, en un mot, de qualifier Monos, un film qui ne rentre dans aucune case. Ni vraiment film de guerre, pas non plus film d'horreur, quelque part entre [[Film:151 Full Metal Jacket]] et [[Film:167525 Sheitan]], le deuxième long métrage d'[[Personne:265225 Alejandro Landes]] est un film mouvant qui crée son propre espace pour mieux questionner notre moralité.

Dès son introduction, nous sommes largués sur un haut plateau dans un paysage d'Amérique du Sud en compagnie d'adolescents guérilleros chargés de "prendre soin" d'une otage appelée Doctorat. Entraînés et embrigadés par un homme d'âge mûr qui ferait passer Rambo pour un sportif du dimanche, la poignée de jeunes gens passe l'essentiel de son temps en autogestion. Loin du front, sans accès à Internet ou à toute autre objet culturel, le groupe tue l'ennui comme il le peut, entre petits jeux, sexe et champignons hallucinogènes. Une communauté hippie option fusils mitrailleurs en bandoulières. L'endroit n'ayant nulle échappatoire, la prisonnière semble elle-même partiellement intégrée au groupe. Evidement, le mélange drogue / calibre 22mm ne fait pas bon ménage et bientôt chacun se doit de choisir entre être fidèle au groupe ou être fidèle à la guérilla. D'abord léger, le film nous plonge peu à peu dans l'enfer de la jungle et mène ses protagonistes à des décisions personnelles de plus en plus lourdes qui sondent les tréfonds de l'humanité.

Pourquoi ces jeunes font-ils la guerre ? Sont-ils épris d'une noble cause ? À aucun moment le film ne souhaite nous répondre. Si le réalisateur uruguayen et colombien s'est évidement inspiré des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie qui ont combattu en Colombie pendant soixante ans, son film n'est pas là pour nous interpeller politiquement mais plutôt pour nous faire ressentir le quotidien de jeunes gens dont la guérilla est le seul univers. La question posée n'est donc pas tant pourquoi combattre, mais comment survivre et faire des choix dans un univers qui appelle plus à l'instinct qu'à la morale. A l'instar des lycéens japonais de [[Film:137432 Battle Royale]] ([[Personne:40162 Kinji Fukasaku]] - 2000) placés dans des conditions de survie extrêmes, les adolescents de Monos forment une microsociété où chacun peut tour à tour jouer la carte du groupe ou de l'individualisme, étant tout à la fois bourreau, victime, complotiste et sauveur, ce qui entretient chez le spectateur un sentiment de malaise permanent. 

Si le film se déroule dans une réalité alternative qui ne nous renseigne ni sur les idéaux de la guérilla, ni sur le pouvoir qu'elle affronte, la proximité avec notre réalité est suffisamment palpable pour rendre l'action crédible d'autant qu'il n'est jamais question d'idéaliser la lutte, ni d'esthétiser la violence : les rares coups de feu qui claquent saisissent le spectateur d’effroi. La recherche esthétique se retrouve par contre dans l’évocation des âmes des personnages qui surgissent régulièrement comme des tableaux de danses ou d'art contemporains soutenus par des musiques planantes et inquiétantes à la fois.

Pour renforcer la crédibilité de son film, le sergent instructeur du groupe est joué par Wilson Salazar, ancien membre de la lutte armée des FARC revenu à la vie civile, qui à l'origine devait se contenter de former les acteurs, mais dont la présence est tellement charismatique qu'il s'est imposé devant la caméra comme l'ombre planant sur le groupe. Elle est peut-être là, la vérité de ce film, dans le regard d'un ancien combattant révolutionnaire, un homme au visage marqué par les combats, qui découvre que son passé de destruction peut devenir transmission.

On ressort de Monos trempé jusqu'aux os, un peu hébété de sons, d'images et de sensations qui sont multipliées tout au long du film pour maintenir une tension permanente, et dont la fin ironique nous hantera longtemps.

Gwenaël Germain