Quatre ans après Marguerite et Julien, dans lequel elle avait cédé son habituelle place d’actrice à Anaïs Demoustier, Valérie Donzelli réoccupe le devant de la scène dans Notre Dame. Elle y interprète Maud Crayon, une architecte un peu fantaisiste, mère de famille débordée qui, malgré ses airs de greluche, assure parfaitement son rôle de maîtresse de maison, ne pouvant pas tellement compter sur l’aide de son ex-mari Martial (Thomas Scimeca). Ce dernier, toujours à charge de Maud comme un troisième enfant, a pris l’habitude de débouler à l'improviste chaque fois que sa nouvelle copine le mettait à la porte. Au milieu de ce joyeux bazar, Maud bafouille, court partout, et évite de justesse toutes les petites catastrophes quotidiennes. Rien ne joue en sa faveur puisque Paris baigne dans un climat de fin du monde où les passants se donnent des claques (“les gens sont à cran !” commente la presse), la pluie torrentielle est constante (ce à quoi la mairie répond par une opération Bottes Lib’) et les journaux télévisés ne font qu’attiser l’hystérie ambiante. Mais un coup de pouce du destin vient totalement chambouler le quotidien de la petite architecte Maud Crayon : son projet de construction d’une aire de jeux de banlieue parisienne se retrouve mêlé au grand concours de réaménagement du parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour la Maire et son second (Isabelle Candelier et Philippe Katerine), le coup de foudre est immédiat, Maud est sacrée grande gagnante.

Notre Dame détient tout le charme habituel du cinéma de Valérie Donzelli, à la fois très écrit mais un peu foutraque, toujours débordant d’idées de mise en scène (chorégraphies improvisées, passages impromptus d’un décor réel à une boîte noire…) dans lesquelles évoluent une ribambelle de personnages tous définis par une particularité rigolote. Comme un clin d’œil à son premier long-métrage La Reine des pommes, on y retrouve la technique du costume unique pour l’héroïne (une robe à motifs tartan qui se décline en robe de chambre lorsqu’elle rentre chez elle), une option qu’on suppose avant tout économique et facilitant les raccords mais qui vient dans Notre Dame renforcer le côté fantaisiste très assumé du film, faisant de Maud Crayon une véritable héroïne de bandes-dessinées reconnaissable au premier coup d’œil.

Passée la franche rigolade, une deuxième lecture du film se dessine : dans le paysage cinématographique francophone majoritairement masculin, et compte tenu plus généralement des inégalités entre hommes et femmes dans le travail tout corps de métiers confondus, le personnage de Maud Crayon n’est pas tout à fait anodin. Valérie Donzelli a pour habitude de jouer sur l'ambiguïté entre ses rôles de ville et de scène, particulièrement dans La guerre est déclarée où elle racontait l’histoire de sa famille, en mettant en scène les principaux intéressés dans leur propre rôle). Un rapprochement dans Notre Dame peut alors être de rigueur. Femme talentueuse mais sans cesse rabrouée par son chef (Samir Guesmi, d’ailleurs excellent dans ce registre), Maud Crayon devra attendre un hasard, une intervention quasi-divine (la maquette s’envole miraculeusement du bureau de Maud jusqu’à celui de la Maire…) pour que son travail soit évalué.

Coup du sort pour Valérie Donzelli ! En avril dernier alors que le tournage était bouclé depuis bien longtemps, un tragique incendie venait détruire une partie de la cathédrale Notre-Dame. Un plan de reconstruction est depuis en cours, opposant les conservateurs et les modernistes, un débat dont il est aussi longuement question dans le film. Le réel ayant rattrapé la fiction, l’œuvre de Donzelli se voit couronnée d’un petit halo supplémentaire qui, on l’espère, suscitera autant d’attention à sa réalisatrice que son personnage en reçoit.

Suzanne Dureau