Chaque année, entre trois cent cinquante et cinq cent mille femmes ont recours à l’avortement clandestin en Argentine. Aiguilles à tricoter dans des chambres d'hôtels, persil dans le vagin, pilules chimiques revendues sous le manteau - l'Interruption Volontaire de Grossesse se pratique là-bas comme du temps de nos "343 salopes". Conséquence de l'illégalité, près de cinquante mille femmes par an sont hospitalisées des suites de complications et une femme meurt chaque semaine pour n'avoir pas été ou mal été prise en charge. Comme si le risque ne suffisait pas, ces femmes sont pointées du doigt, insultées, humiliées, parfois même maltraitées par certains médecins ou personnels hospitaliers. L'hypocrisie de la morale religieuse reporte systématiquement la culpabilité sur les femmes.

Après des années de lutte, un projet de légalisation de l'IVG pour toutes arrive au parlement argentin en 2018 soutenue dans la rue par plus de trois millions de personnes. La chambre des députés approuve le projet de loi, mais le sénat n'a pas encore rendu son verdict au moment où le réalisateur Juan Solonas prend sa caméra pour filmer dans les rues l'espoir de toute une génération. Affublés d'un foulard vert, militantes et militants patientent sous la pluie, espérant que cette loi, sept fois présentée et sept fois refusée, passera enfin le conservatisme des sénateurs. À l'extérieur la foule joue du tambour et crie des slogans, convaincue que le grand jour est arrivé. À l'intérieur des hommes âgés défilent au prétoire pour expliquer comment les femmes devraient se comporter avec leur corps.

En plus de suivre le débat démocratique, Femmes d'Argentine - Que Sea Ley (Que soit la loi), nous présente les témoignages de nombreuses femmes ayant eu à avorter, détaillant leur parcours, difficultés et souffrances. À ces témoignages directs s'ajoutent ceux de professionnels de la santé, de politiques, de familles de victimes et de membres de l'ecclésiastie. Un documentaire difficile et militant qui nous bouleverse lorsqu'il nous rappelle que l'interdiction de l'IVG se résume à déplacer le risque dans la précarité et que ce risque coûte la vie à de nombreuses femmes, souvent jeunes, qui n'ont pas les ressources pour se battre contre la morale établie. À l'heure d'écrire ces lignes, le projet de loi est de retour devant les institutions en Argentine, ravivant l'espoir chez les femmes d'avoir un jour le droit de disposer de leur corps comme elles l'entendent et d'avoir un meilleur contrôle dans leur choix d'avoir ou non des enfants et de les élever avec leurs partenaires dans les conditions qu'elles et ils jugeront dignes.

Gwenaël Germain