Pendant que les hommes valides combattent les Allemands sur le front de l'Est, les femmes, les enfants et les vieillards doivent gérer tous les travaux dont ils s'occupaient en temps de paix. À la ferme du Paridier, pour faire face au surcroît de travail que demandent les moissons, la nouvelle chef de famille (Nathalie Baye) recrute une orpheline (Iris Bry), qui se rend vite indispensable par sa douceur et son opiniâtreté.

   S'appuyant sur une reconstitution historique zélée de la vie à la campagne pendant la première guerre mondiale, Les gardiennes a parfois l'allure folklorico-nostalgique des documentaires sur la vie à l'époque de nos grands-parents. Selon les sensibilités, le spectateur trouvera cela trop emprunté ou se laissera émouvoir par le charme suranné d'institutions aujourd'hui tombées en désuétude mais qui donnaient du sens à chaque étape importante de la vie.

   Figure christique, le personnage principal est une orpheline élevée par des religieux, pieuse et vertueuse, qui affronte les événements heureux et malheureux avec la même conviction et accepte les êtres bons et mauvais avec la même compréhension. L'éthique chrétienne lui assure visiblement des bases solides qui lui permettent d'être un être humain extrêmement consistant, droit, qui peut sans mentir répondre « non » au galant qui lui demande s'il l'intimide. A cette incarnation de la Vertu s'oppose la figure méphistophélique de la « monstrueuse » mère qui commet une terrible injustice par fierté et peut-être aussi par envie.  

   Le nouveau film de Xavier Beauvois est ainsi une ode au refus de juger, de haïr, que ce soit les autres ou soi-même ; la seule chose qui compte étant de faire son devoir, d'être utile à la communauté et d'aimer. Quant à être aimé, cela peut advenir de surcroît, mais ne doit pas être recherché, car quiconque espère trop des hommes court au-devant de grandes désillusions.

   Imprégné de religiosité, voire caisse de résonance de la grâce divine lorsque l'excellente Iris Bry se met à chanter, ce très bel apologue est serti dans un écrin visuel et musical de choix, puisque Caroline Champetier (célèbre directrice de la photographie de Godard, Garrel ou Carax) capture la lumière tandis que Michel Legrand (qui a croisé la première en son temps sur les films de Godard et pour la suite qu'on ne présente même plus) fait résonner une symphonie pour instruments à vent  virevoltante, joyeuse, et à l'image du reste du film dénué de complaisance mélancolique. Grâce à ces excellents techniciens, Les gardiennes atteint une perfection formelle qui s'imbrique à la hauteur morale du fond pour littéralement réenchanter notre monde déspiritualisé. L'un des plus beaux films de l'année !

Florine Lebris