La cinéphilie est essentielle dans le processus créatif de Tarantino qui ne cesse dans ses réalisations de multiplier les références aux longs-métrages qu'il a aimés. Avec son neuvième film actuellement en salles, il signe peut-être l’une des plus belles déclarations d’amour au 7ème art vues à l’écran avec une sorte de Nuit Américaine où la lumière des projecteurs devient le meilleur rempart contre la médiocrité et la folie du monde.

En faisant revivre le Los Angeles des années 60 dans Once Upon a Time… in Hollywood, Tarantino aurait pu signer un simple film nostalgique et nous offrir un horripilant discours conservateur. Mais jamais le réalisateur ne tombe dans le piège dans lequel s’est fourvoyé Jim Jarmusch avec son dernier film de zombis post-moderne et horriblement surexplicatif, qui crache sa haine sur l’époque actuelle. Tarantino nous offre plutôt un voyage dans le passé qui nous permet de nous ressourcer en tant que spectateur. Son dernier long-métrage est une ballade dans un cinéma passé qui nous permet au final de fuir le nihilisme actuel et de retrouver l’émerveillement d’une époque où les idéaux avaient encore un peu de sens.

Pour nous accompagner dans ce voyage dans l’usine à rêves des années 60, le réalisateur va nous donner à voir un Leonardo DiCaprio très touchant en acteur de séries B instable. À ses côtés, dans le rôle de cascadeur Cliff Booth, nous retrouvons un Brad Pitt impressionnant qui nous offre l’une des meilleures prestations de sa carrière. L’ami Brad joue ici avec beaucoup de conviction le héros des temps passés, droit dans ses bottes et qui est toujours prêt à aider son prochain. Il faut dire que l’acteur avec son faciès à la Redford et son corps d’athlète était un choix judicieux pour jouer un personnage proche du cowboy des publicités Marlboro.

Si Tarantino se réfère à la figure de l’homme de l’ouest avec son cheval, c’est pour nous montrer que le cinéma actuel a plus besoin de héros simples (de « good guy ») auxquels on peut se référer, que de figures déifiées aux pouvoirs spectaculaires irréalistes. À ce titre, une scène résume parfaitement la volonté du réalisateur américain de nous offrir un film sincère et presque naïf sur le cinéma. Tarantino suit ainsi Sharon Tate, jouée par Margot Robbie, dans une salle de cinéma qui vient découvrir les réactions des spectateurs devant le film qu’elle vient de tourner. A travers son sourire enchanteur, sa façon de reproduire les gestes à l’écran, Tarantino ne recourt pas ici au second degré facile ou à l’ironie de ses premiers films, mais utilise un simple champ contre champ, pour nous offrir un hommage touchant au 7ème art.

Tarantino présente Hollywood comme une famille, un microcosme où se côtoient cascadeurs, comédiens à la gloire passée, enfants stars et autres techniciens. Une famille disparate et conflictuelle, mais bien plus réelle que celle voulue par la secte tueuse aux ordres de Charles Manson. En effet, le film nous montre les sbires du gourou comme des parasites qui se réapproprient les plateaux de tournage de l’ancien temps. C’est une bande de paumés élevés à la télévision qui ne souhaitent au final qu’une chose : être célèbres et accéder à la lumière des projecteurs. Ils sont à l’image des héros de téléréalité ou des haters sur le net. Ils représentent un « certain » public qui a perdu sa croyance dans le cinéma et qui pense grâce aux réseaux sociaux pouvoir diriger de façon légitime les films. Des spectateurs qui ont brisé le quatrième mur et qui vilipendent et menacent les artistes qui refusent d’obéir à leurs fantasmes de consommateurs.

Du point de vue de la mise en scène, Tarantino est particulièrement en forme et nous offre d’amples mouvements de caméra qui soulignent l’importance des cadres larges et des plans d’ensemble. Sa mise en scène élégante nous rappelle combien le cinéma est avant tout un art des grands espaces qui s’est fourvoyé ces dernières années en pensant ses images pour les écrans de nos portables. Sa dernière réalisation est un film délicieux qui n’hésite pas à prendre son temps pour conter son histoire. Le réalisateur américain ralentit ainsi certaines scènes ou carrément suspend l’action. Sa gestion du temps est totalement à l’opposée des blockbusters actuels qui vont toujours plus vite à l’image de nos vies consumées avant même d’avoir commencé. Enfin, le film est aussi une déclaration d‘amour aux acteurs, il suffit de voir la séquence où DiCaprio nous livre une prestation de haute volée face à la gamine apprentie comédienne. Tarantino possède vraiment ce pouvoir digne des plus grands metteurs en scène classiques de faire de ses acteurs des icônes cinématographiques, que ce soit Margot Robbie magnifique en Sharon Tate ou notre Brad Pitt qui n’a jamais autant fait penser à Redford ou Steve McQueen en matière de charisme à l’écran.

L’un des meilleurs films de son auteur au même titre que Jacky Brown, Once Upon a Time… in Hollywood est tout simplement un chef d’œuvre.

Mad Will