L'île de l'épouvante était une commande pour Mario Bava mais celui-ci n’en a pas forcément gardé un bon souvenir. Il faut dire que le cinéaste italien a été appelé à la dernière minute pour remplacer le réalisateur prévu, Guido Malatesta, quelques jours seulement avant le début du tournage. Les techniciens et les acteurs étaient déjà choisis à ce stade. En plus, Bava n'était pas vraiment fan du scénario original, qu'il avait déjà refusé de tourner des mois auparavant, car il le considérait comme un décalque maladroit du roman Les Dix Petits Nègres d'Agatha Christie.

Cependant, le paiement de son salaire à l'avance, dans un pays où de nombreux producteurs l’avaient déjà arnaqué, l'a convaincu d'accepter la proposition. Toutefois Mario Bava a imposé certaines conditions avant d’accepter de réaliser métrage. Il a demandé la présence d'Antonio Rinaldi, son directeur de la photographie de confiance, pour diriger les équipes techniques. De plus, il a apporté deux modifications au scénario : les cadavres des différents protagonistes ne seront plus enterrés, comme prévu dans le script original, mais plutôt placés dans une chambre froide, et il a également modifié la fin du film.

Le tournage s'est avéré difficile, car l'action était censée se dérouler en été, mais les acteurs et actrices, souvent en maillot de bain, ont dû tourner en plein mois d'octobre. En plus de diriger le film, Bava a signé la photographie de nombreux plans et a réalisé la peinture sur verre représentant la maison d'architecte. Il a également dû effectuer le montage pour la première fois de sa carrière. Malgré ces défis, Bava, connu pour son efficacité, a réussi à terminer le long métrage en seulement 19 jours, un tour de force au vu du nombre important de plans à réaliser !

Si Mario Bava a terminé L'île de l'épouvante, il n'a pas vraiment apprécié le résultat final et a souvent exprimé son désaccord à son sujet. À ce titre, il ne semble pas être le seul puisque les fans du maître du giallo (thriller italien) déclarent leur préférence pour La Baie Sanglante, où Bava a eu une plus grande liberté créative. Il est clair que les deux films partagent des similitudes chacun d’eux présentant une succession de meurtres où il est difficile de savoir qui en est le véritable responsable. Mais je n'en dirais pas plus de peur de dévoiler l'intrigue. Néanmoins, pour résumer, disons que L'île de l'épouvante s'amuse à jouer avec les codes du giallo classique, tandis que La Baie Sanglante annonce une évolution du genre en présentant des meurtres sanglants que l'on retrouvera ensuite dans des slashers américains à venir, tels que Vendredi 13. Ces deux films montrent que Bava continue à innover et à façonner un genre, le giallo, qu'il a créé avec La fille qui en savait trop et Six femmes pour l'assassin. Il semble donc clair que La Baie Sanglante n'aurait peut-être pas existé sans L'île de l'épouvante, qui mérite bien mieux que sa réputation ternie par la mauvaise opinion du cinéaste sur sa propre œuvre.

Réaliser un film que l'on n'apprécie pas forcément conduit la plupart des cinéastes à devenir de simples techniciens sans génie venus chercher leur chèque. Dans le cas de Bava, c'est tout le contraire. En effet, dans L'île de l'épouvante, le réalisateur devient une sorte de magicien pop prêt à expérimenter toutes les esthétiques possibles. Ce film est un objet visuel fascinant, caractérisé par des couleurs explosives à l'écran et une stylisation poussée à l'extrême où les acteurs se transforment en de simples ombres. Sans oublier une caméra qui offre des perspectives vertigineuses et fétichise jusqu'à l'extrême des objets dans de longs plans. Enfin, le cinéaste utilise régulièrement un objectif grand angle à l'intérieur de la maison, ce qui la fait ressembler à un bocal où le spectateur observe quelques humains agir comme des poissons sans tête.

Dans L'île de l'épouvante, l'esthétique prend le pas sur l'histoire, la caméra devenant elle-même un acteur du film au point où l'on se demande si ce n'est pas le réalisateur qui est le coupable. Ce long-métrage finit par ressembler alors à une maison de poupée où la misanthropie du réalisateur explose littéralement à l'écran. On disait de Bava qu'il n'aimait pas les acteurs. Une chose est sûre, c'est qu'il déteste encore plus les protagonistes du film. En effet, alors qu'Edwige Fenech est à l'écran et que l'érotomane bon chic bon genre s'attend à découvrir les formes de celle qui fut la vedette de la comédie érotique italienne, il sera déçu. La chair est quasi inexistante dans ce film avare en violence ou en érotisme. Le long-métrage transpire tellement la haine envers les puissants et les possédants que Bava retire à ses personnages le droit d'être vivants. Le seul moment où ils semblent en vie, c'est lorsqu'ils sont suspendus dans la chambre froide. Le message est clair : ce ne sont que de la viande dénuée d'âme tout simplement.

Traversé de fulgurances esthétiques, comme dans la séquence où les billes tombent dans l'escalier, L'île de l'épouvante est une œuvre sombre où, malgré son statut de commande, le réalisateur parvient, comme à son habitude, à nous offrir un triste spectacle de l'humanité.

À découvrir absolument.

Rétrospective Mario Bava à compter du 11 octobre. Distribution Tamasa Distribution.

Mad Will