Pauline (Valérie Mairesse) 17 ans, vient en aide à Suzanne (Thérèse Liotard), 22 ans, enceinte et déjà mère de deux enfants dont elle peine à s'occuper toute seule. Le père, très occupé avec son studio photo, est en plus déjà marié. Pour Pauline, adolescente fougueuse et rebelle, Suzanne doit avoir le choix de garder son enfant ou non. Nous sommes en 1962, l’avortement est alors pratiqué clandestinement et dangereusement en France. Pauline réunit la somme d'argent nécessaire à son amie pour pratiquer l'opération en Suisse. Suzanne se libère de sa grossesse mais doit affronter un drame : le suicide du père de ses enfants. Sans ressource, elle retourne vivre chez ses parents à la campagne, qui acceptent difficilement leur fille-mère et ses deux enfants illégitimes. Suzanne et Pauline se perdent de vue.

Dix ans plus tard, Pauline devenue Pomme, est une femme libérée, et chante dans un groupe yéyé comme elle en a toujours rêvé. Suzanne est militante dans un planning familial à Hyères. Les deux femmes se recroisent en octobre 1972, lors du procès de Bobigny. Sans avoir le temps de savourer leurs retrouvailles, elles échangent leurs adresses et entament une relation épistolaire.

42 ans après sa première sortie, L’une chante l’autre pas revient colorer les salles obscures. La cause est grave mais le film ne l’est pas, grâce à la liberté qu’a pris Agnès Varda de parler de lutte avec légèreté : tout en humour et en chansons. Cette liberté, elle se l’autorise car en 1977, elle est déjà une réalisatrice et une féministe confirmée. Elle a fait partie des signataires du manifeste des 343, précurseur de la loi en faveur de l’IVG de 1975.

Ce qui préoccupe aujourd’hui Agnès Varda, venue présenter le film à l’occasion de sa ressortie en salle en version restaurée, c’est que cette œuvre puisse encore trouver un public autre que les cinéphiles avérés. Elle espère voir les jeunes filles et jeunes gens modernes concernés par la lutte qu’ont mené leurs grand-mères, qui continue aujourd’hui à travers la nouvelle génération à l'ère du mouvement #MeToo qui réclame respect et égalité des femmes. « La parité, moi, ça fait longtemps que ça me gratte », plaisante-elle en se félicitant d’avoir pu réunir une équipe de dix hommes et dix femmes pour réaliser son film.

L’une chante l’autre pas est une œuvre politique mais aussi une histoire d’amour et de solidarité. Malgré leur éloignement, et tout ce qui les oppose, Suzanne et Pomme parviennent à maintenir le lien cher qui les unit, en souvenir des tristes événements qui les ont rapprochés auparavant. A une cause universelle, Agnès Varda donne un peu de sa vie. Même si elle assure n'être ni Pomme ni Suzanne, elle fait partie de celles qui ont accompagné des avortements en Hollande. Elle donne aussi un petit rôle à son fils Matthieu Demy, et à sa petite fille Rosalie Varda âgée de 17 ans dont le visage en dernier plan est celui de la jeunesse à qui on confie l’avenir. Un peu daté et parfois mièvre, ce film reste savoureux pour son aspect documentaire sur la grande époque yéyé, colliers de fleurs et pantalons pattes d’eph’ des seventies, et l’interprétation très juste de Valérie Mairesse et Thérère Liotard, aujourd’hui disparues du grand écran.

S.D.