Alger, années 90. Un homme entre deux âges sort de chez lui et se fait abattre froidement par une bande armée.  Une patrouille de police entend le coup de feu et intervient, mais c'est déjà trop tard, le terrorisme a frappé une fois de plus. Quelques échanges de coups de feu, un policier tombe sous les balles, les criminels s'échappent. Il n'y aura pas fallu plus d'une seule scène à Amin Sidi-Boumédiène pour nous convaincre. Un plan séquence qui en quelques minutes scotche le spectateur à son siège.

-Noir-


Nous voici dans une voiture avec deux hommes inconnus. Qui sont-ils, que font-ils ? Nous n'en savons rien. C'est tout juste si nous comprenons qu'ils sont à la recherche d'un certain Abou Leila. Un motel, une nuit, et l'équipage reprend la route. Road movie en direction du désert. Peu à peu les traces de civilisation s'éloignent. Le conducteur, Lofti (Lyes Salem) a l'air sûr de lui, il est directif même. Son passager, S. (Slimane Benouari), a passé une mauvaise nuit, il est sujet aux cauchemars. On comprend que le premier emmène le second loin de la folie d'Alger. Durant une bonne heure, nous restons sans voix, appréhendant les personnages mystérieux par des dialogues qui prennent soin de ne pas trop en dire. C'est le temps des hypothèses. Sont-ils flics ? Sont-ils terroristes ? Ont-ils quoi que ce soit à voir avec l'attentat de la première scène ? Peu à peu, nous comprenons que ces questions n'ont pas d'importance. L'intrigue avance d'elle-même mais à chaque fois que nous pensons l'avoir saisie, à chaque fois que nous pensons nous installer dans le confort intellectuel de celui qui comprend, un nouvel élément apparaît et relance notre questionnement.

Plus l'oeuvre avance, plus les cauchemars de S. se multiplient, et plus ils viennent se mêler à la réalité de sorte que celle-ci devienne moins tangible. Inexorablement nous glissons dans la folie. Comme le dit Lofti, « on est tous cinglé dans ce pays ». De temps en temps, Amin Sidi-boumédiène nous offre une bride de réel à laquelle se rattacher. Nous sautons sur ces moments de repos pour démêler le rêve angoissant du road trip, pour comprendre les nouvelles informations, mais bientôt notre raison doit capituler. Là, arrivés au milieu du désert, nous ne pouvons plus que nous abandonner au chef d'oeuvre. Il n'y a plus à réfléchir, il n'y a plus qu'à croire. Alors on accepte. On accepte le fantastique qui transforme le guépard en homme et relie la dune aux rues d'Alger. On accepte de ne plus faire que ressentir, jusqu'à la lumière. Alors en s'abandonnant, on comprend.

Abou Leila est une chimère, un cauchemar partagé par tous les algériens ayant grandit dans la violence des attentats des années 90. Une peur aléatoire que même les plus forts ont besoin d'exorciser. Pour son premier long métrage, Amin Sidi-Boumédiène décide de l'affronter de face, pour mieux regarder dans les yeux le passé et ses névroses. Il le fait avec une maestria incroyable, le road-trip glissant vers le fantastique sans anicroche, sapant le besoin de tangible tout en distillant les clefs de la compréhension. Une fois n'est pas coutume, le désert ressort magnifié, mais cette fois sous le regard d'un réalisateur local. De bout en bout l'image est sublime tout en restant modeste. Amin Sidi Boumédiène est un grand technicien de l'image mais n'use jamais de la technique dans une approche tape-à-l'oeil. Celle-ci est au service de la narration et du sentiment qu'il veut faire passer et non l'inverse.

Un très grand film qu'il faudra absolument voir sur grand écran.

Gwenaël Germain.