Georges (c’est Jean Dujardin), un homme que l’on devine solitaire et bien toqué, décide de changer de vie, ou plutôt de changer de peau. Après avoir jeté sa veste en velours côtelé dans les WC d’une autoroute, Georges investi plusieurs milliers d’euros dans un blouson en daim frangé. Par geste commercial, le vendeur lui fait don d’un caméscope numérique. Paré de son nouvel habit, Georges prend (un peu trop) confiance en lui. Grâce à la caméra qu’il aborde fièrement, il se fait passer pour un cinéaste auprès de Denise (Adèle Haenel), la jeune serveuse d’un bistrot, monteuse de formation. Emballée par cette rencontre, Denise parvient à se faire embaucher sur le prétendu film que Georges est venu tourner dans ce village perdu des Pyrénées. Embourbé dans son mensonge, le mythomane s’improvise cinéaste et, tel un Alain Cavalier de seconde zone, se met à filmer un peu tout ce qu’il voit.

En cinquante nuances de marron (du daim, des tapisseries seventies, du bois des chalets pyrénéens) Quentin Dupieux raconte la folie obsessionnelle d’un minable, d’un ringard, persuadé que son habit fera le moine. Là où Au Poste ! explorait le langage par des dialogues en huit clos entre Poelvoorde et Ludig, quasi immobiles dans un commissariat de police, Le Daim expose un personnage en quête d’action et de mouvement. Georges, dont on ignore presque tout de son ancienne vie, est l’archétype du brasseur d’air, qui fait en permanence pour masquer, qu’en fait, il ne fait rien. C’est lorsqu’il commence à se familiariser avec le métier de réalisateur qu’il se sent plus légitime, surtout grâce à l’admiration qu’il suscite chez Denise. Le cinéma existe lorsqu’il parvient à intéresser quelqu’un d’autre que sa propre personne, et bouscule le réel lorsqu’il est trop fade pour être raconté. Dupieux prend un exemple extrême mais efficace : dans un village où il ne se passe rien de cinégénique, celui qui veut à tout prix écrire un film s’en donne les moyens, quitte à trucider le premier passant venu pour créer de l’action. Cela rejoint l’idée qu’avance Denise, que le blouson derrière lequel Georges se cache est la carapace d’une coquille vide, une couche complètement superficielle et choisie pour cacher l’ennui mortel qu’elle entoure… Le Daim est un film dans le film, un (auto ?)portrait d’un réalisateur complètement fou qui sublime son grain pour en faire de l’art. On y retrouve les motifs phares de son auteur : la sensation d’être hors du temps, le minimalisme de la mise en scène comme du reste (1h17 d’images) et bien sûr, un grand comique de l’absurde, même si avec la dépression comme thème principal le film reste un des plus noirs de la collection Dupieux.

S.D.