Dans la banlieue de Lisbonne, une usine d’ascenseurs en faillite est abandonnée du jour au lendemain par sa direction. Les ouvriers occupent alors collectivement leur ancien lieu de travail et ont le temps de débattre sur l’opportunité qui s’offre à eux.

    Ecrit à huit mains, nourri d’un travail préparatoire mené en collaboration avec ses acteurs non professionnels, à mi-chemin du documentaire, de la comédie musicale et du méta-cinéma, L’usine de rien est une proposition cinématographique particulièrement riche. Ce long-métrage protéiforme de près de trois heures n’en est pas pour autant indigeste, son réalisateur ayant pris soin de ménager des moments de pause entre les séquences les plus denses : « [Mon film] commence de manière vive, puis il y a comme un moment de creux, où on peut se concentrer sur des temps de silence et d’observation, de ‘’rien’’, avant de repartir et de faire croître l’énergie pour maintenir le spectateur éveillé et attentif jusqu’à la fin. La dernière heure est ainsi très musicale, rapide et surprenante. »

   Tourné dans une usine ayant été occupée par ses ouvriers durant la révolution des Œillets de 1974, avec certains de ses anciens travailleurs, autour d’un scénario élaboré collectivement, L’usine de rien multiplie les effets de mise en abyme. Les spectateurs français seront sans doute particulièrement amusés par celui du personnage de cinéaste parisien libertaire soupçonné de filmer des ouvriers portugais discutant autogestion pour divertir une dizaine de ses amis germanopratins. Ambitieux, L’usine de rien évite néanmoins les écueils du film purement conceptuel, en variant ingénieusement les registres : l’intime et le politique, l’intellectuel et le corporel prennent le pas tour à tour. Les débats érudits sur les mutations du capitalisme et les possibilités de son dépassement succèdent ainsi à la création d’une comédie musicale, à des cris de révolte punk mais aussi simplement au silence de l’usine délaissée, espace de liberté que les ouvriers se réapproprient peu à peu pour inventer ensemble les activités de la société sans travail qui pointe son nez à l’horizon.

F.L.