Le distributeur Malavida nous offre en cadeau de bienvenue pour cette nouvelle année 2022 une rétrospective des trois premiers films du cinéaste yougoslave Dusan Makavejev. L’homme n’est pas un oiseau (1965), Une affaire de cœur : la tragédie d’une employée des P.T.T. (1967) et Innocence sans protection (1968).

C’est surtout le premier long-métrage de cette liste qui m’a intéressé en raison de sa dimension allégorique. Le cinéaste file ici une métaphore où les figures de l’autorité s’apparentent à des hypnotiseurs agissant sur la volonté des foules. Cette comparaison montre que les instances du pouvoir ne recourent pas à l’adhésion, mais plutôt à la persuasion. Le peuple ne possède donc plus son libre arbitre et se doit d’obéir sans comprendre. La ville et l’usine dans laquelle se déroule l’action sont tout simplement une image en réduction d'une société yougoslave où l’ordre n’est qu’apparent. Les images du film nous révèlent alors un peuple prisonnier de ses croyances et de ses superstitions, constitué de voleurs, d’ivrognes, de machistes brutaux, brefs d’individus loin de satisfaire à l’image revendiquée d’un communisme pacifié et partagé.

Le titre L’homme n’est pas un oiseau provient de la séance d’hypnose en ouverture où l’hypnotiseur convainc ses sujets d’expérience qu’ils sont devenus des oiseaux. On les voit alors dans leur sommeil hypnotique, agiter leurs bras et chercher à s’envoler sans y parvenir. Le réalisateur annonce ici le sort réservé à Rajka, personnage principal du film, qui veut s’échapper de son quotidien. Cette jeune femme est une employée d’un salon de coiffure. Elle y croise la route de Jan, nouvellement arrivé à l’usine pour monter une nouvelle machine. Rajka trompe souvent son ennui avec des amants de passage. Mais quand elle s’attaque à Jan, elle veut avant tout s’en prendre au système qui bride ses envies et ses désirs. En effet Jan est un ingénieur consciencieux, respectueux des directives données par le parti. Leur rencontre va être un grain de sable qui ne grippera cependant pas la machine : les institutions mises en place par le pouvoir, parti, travail, propagande, police... sont trop prégnantes pour être bousculées par la simple volonté d’un individu, surtout quand c’est une jeune femme qui veut tout simplement vivre sa vie.

S’inspirant des techniques de montage de ses illustres prédécesseurs russes, Makavejev ne cherche pas la continuité dans son découpage, mais juxtapose des plans pour établir un discours. On pense en particulier à la séquence de la visite de l’usine par les écoliers où pendant le discours du dirigeant glorifiant la classe ouvrière, on voit se succéder les images d’hommes et de femmes victimes de conditions de travail visiblement délétères.

Mettant en exergue, tant le machiavélisme du pouvoir que l’impuissance des protagonistes, le cinéaste yougoslave nous offre un film désenchanté sur une société qui se résume finalement à une cage dans laquelle chacun est libre de s’agiter en vain.

Laurent Schérer