Jeune femme est un film baroque. Paula (Laetitia Dosch) est bipolaire des yeux, comme le dit une de ses rencontres, (elle a les yeux vairon), et aussi psychiquement parlant, comme on le constate dès le début du film. Celui-ci se déroule sur quelques mois de la vie de cette femme, montrée en scène d’ouverture comme fortement perturbée par sa séparation avec son compagnon. Elle erre alors dans Paris, ville parfois aimée, parfois rejetée, en fonction du discours des personnages qu’elle croise, à la recherche d’un logement et d’un travail.

Ce qui est extraordinaire dans ce film est que la réalisatrice (Léonor Serraille) parvient à nous donner de l’empathie pour ce personnage que l’on trouve au départ plutôt énervant. Elle affabule en permanence, ment comme elle respire, montre une instabilité de tous points de vue, bref, d’abord, elle nous agace. On se rangerait plutôt du côté de son compagnon qui l’a larguée. Pourtant, au fur et à mesure du déroulement des images, en construisant le puzzle avec les pièces falsifiées que le personnage nous dévoile ou que son entourage nous livre, pas toujours en meilleur état d’ailleurs, on se surprend à réfléchir sur les termes mêmes de ce que signifie l’instabilité dans notre société et plus globalement sur les relations entre humains. Peu nous importe finalement si Paula raconte n’importe quoi à qui veut bien l’entendre. Elle sert de catalyseur, de révélateur des caractères des personnages qu’elle côtoie et d’une façon générale des relations sociales. Et paradoxalement, elle nous fait comprendre qu’on ne sait rien ou presque des personnages. L’omniscience du narrateur est faussée par leur discours. Celui de Paula, bien sûr, mais finalement ceux des autres aussi, dont on apprend à se méfier car ils ne sont pas aussi stables qu’ils veulent bien le laisser paraître. C’est un film qui n’a pas de début ni de fin, il est simplement un questionnement. De ce fait, après visionnement, on remercie Paula de nous avoir ouvert les yeux et appris à réfléchir. Du beau cinéma.

Une très grande réussite pour ce premier long métrage de Léonor Serraille.

Laurent Schérer