On a trop souvent réduit la personnalité de Jean-Pierre Mocky à un personnage fort en gueule aboyant sur ses équipes techniques pour accélérer les tournages de ses films. Si ses colères homériques sont devenues célèbres et ont été sujettes à de nombreux partages sur les réseaux sociaux, on occulte le fait que ce cinéaste réellement indépendant était également le producteur de la plupart de ses films. Il devait donc à la fois gérer l’artistique et les impératifs économiques de ses créations.

À la tête d’une filmographie imposante, son œuvre est d’une cohérence à toute épreuve. On retrouve ainsi dans toutes ses réalisations le même discours antisystème porté au pinacle par une famille de comédiens (connus ou amateurs) qu’il aimait mettre en valeur.

Si pour ma part j’aime autant Jean-Pierre Mocky, c’est pour la bonne raison que celui-ci a démontré que les cinémas de genre et d’auteur n’étaient pas forcement antonymiques. Avec des œuvres comme Litan ou À mort l’arbitre, il aura signé des pièces maîtresses du cinéma de genre hexagonal, s’attaquant même à des genres typiquement américains comme le thriller paranoïaque mâtiné d’espionnage dans le cas d’Agent Trouble qui compte parmi ses plus grandes réussites.

Pas  forcément le film le plus cité de son auteur, Agent Trouble met pourtant en scène Catherine Deneuve, l’une des plus grandes stars du cinéma français des années 80.

Alors qu’il envisageait Jeanne Moreau pour incarner l’héroïne de son prochain film inspiré du roman L'Homme qui aimait les zoos de Malcom Boss, il finit par engager Deneuve qui avait émis le souhait de tourner avec lui. Avec Agent trouble, il nous donne à voir une drôle d’enquête mêlant raison d’État et tueurs machiavéliques où il se permet d’enlaidir une icône du cinéma français qui porte ici une effroyable perruque. Devenue une sorte de Miss Marple ménopausée à l’écran, Deneuve allait-elle réussir à s’intégrer à l’univers de Mocky ? La réponse est simple et définitive : Oui ! Elle est en effet extraordinaire dans le film.

L’actrice, qui garde un bon souvenir du tournage, incarne avec malice un rat de bibliothèque asexué prêt à tout pour savoir ce qui s’est définitivement passé le jour où son neveu interprété par Tom Novembre a découvert un bus dont les occupants semblaient avoir passé l’arme à gauche. À ses côtés, nous avons un casting 4 étoiles avec Kristin Scott Thomas, Pierre Arditi et Sylvie Joly. Enfin, Richard Bohringer dont le dernier appel téléphonique nous dévoile un Mocky plus tendre qu’à l’ordinaire, est impérial en tueur désabusé. Des seconds rôles tous excellents à l’exception de Tom Novembre qui ne semble pas à l’aise quand il s’agit de rejouer les dialogues en post synchro. Enfin, comme nous sommes chez Mocky, nous avons le droit en arrière-plan à une réjouissante cour des miracles, où l’on retrouve des acteurs fidèles tels qu’Antoine Mayor et des amateurs aux gueules affirmées qui sont au service de la vision satirique de l’auteur. À ce titre, le réalisateur est loin d’être tendre avec le français moyen quand arrive le moment de l’apéritif ou quand il s’agit de filmer la visite d’un château centenaire qui devient un toilette à ciel ouvert.

Agent Trouble s’appuie sur une intrigue plus solide qu’à l’accoutumée chez Mocky qui arrive à insuffler une touche personnelle à son thriller politique. En effet, une mélancolie propre à son auteur habite ce long-métrage où aucun protagoniste ne parvient à trouver sa place dans une société liberticide qui n’est pas loin de ressembler au zoo que visite Tom Novembre au début du film. Alors qu’on a souvent reproché à Mocky une mise en scène plutôt bâclée, surtout dans ses dernières œuvres, la réalisation solide d’Agent Trouble démontre que lorsqu’il avait des moyens décents, il pouvait  signer de magnifiques plans. Je pense à l’ouverture du film où l’on découvre ce car abandonné dans un étrange brouillard. Porté par la musique de Gabriel Yared qui rappelle dans ses meilleurs moments les compositions de Bernard Herrmann pour Hitchcock, Agent trouble est un thriller politique savoureux et iconoclaste à redécouvrir absolument.

Mad Will