Régulièrement, dans un village kirghize, un cheval disparaît au crépuscule pour n’être retrouvé que quelques jours plus tard. Considérant que le préjudice subi est dérisoire, aucun des villageois n’a jamais songé à porter plainte. Une nuit, pourtant, l’atypique voleur (Aktan Arym Kubat) « emprunte » l’étalon de la mauvaise personne : un frustré vindicatif dépourvu de capacité de distanciation, dont le seul plaisir est de jouir de la « justice » (lisez « souffrance ») faite à autrui. Cet personnage détestable dans la diégèse est passionnant dans la réflexion, tant il nous permet de nous interroger sur la place du ressentiment dans la religion. Pour justifier (à ses propres yeux) ses actes, notre justicier se réfère en effet à la confession musulmane et s’entoure d’une clique de vrais bigots, faux dévots. Cette flagrante tartuferie met en valeur par contraste la spiritualité sincère de notre voleur de chevaux qui, s’il élude les prosternations, a de hautes conceptions de justice et de liberté chevillées au corps qu’il met en pratique au quotidien.

   Sur la forme, Centaure varie prodigieusement les registres et en cumule ainsi les différents avantages. L’enquête des villageois pour débusquer le voleur de chevaux donne lieu à des scènes de film policier, celles de la vie quotidienne du protagoniste se rapprochent du documentaire sur la culture kirghize, tandis que les séquences nostalgiques autour du vieux cinématographe ou des chevaux volés font vibrer notre fibre romantique. Si le cinéaste kirghize interroge son pays au prisme du combat qui s’y joue entre tradition et modernité, il le fait donc sans pesanteur, en réservant une grandiloquence justifiée pour quelques scènes-clés. Maniant aussi bien la dérision que l’émotion, Aktan Arym Kubat réussit à nous attacher au héros droit et libre qu’il incarne lui-même, au point de nous rendre empathique à tout ce qui lui arrive : nous alternons alors colère, joie ou désespoir au diapason de ce que vit notre Centaure respecté. Au final, son film se révèle une fable sur la liberté si habilement découpée et si poignante qu’elle pourrait bien vous faire pleurer.

Florine Lebris