Milos Forman appartient à cette race de cinéastes dont les œuvres sont intemporelles et restent longtemps gravées dans notre inconscient. À l’instar d’Amadeus ou Man on the moon, Hair n’a rien perdu de sa superbe et reste 38 ans après sa sortie, une œuvre majeure.

Ce n’était pas gagné d’avance pour un film si fortement inscrit dans son époque, cette période des années 60-70, culturellement riche, et témoin de profonds bouleversements (vestimentaires, musicaux, ou sociétaux).  De la même manière, sa mise en scène, avec notamment l’emploi caractéristique du zoom, aurait pu être un frein pour le cinéphile du nouveau millénaire habitué aux amples mouvements de caméra.

Pour autant, le film, dans la manière qu’il a de construire une relation forte avec ses personnages, arrive à totalement nous faire oublier le contexte pour directement toucher nos âmes. À travers le destin de Claude, sorte de candide aux pays des hippies, le réalisateur initie progressivement le spectateur de l’époque, mais aussi du nouveau millénaire, aux codes du Flower Power. En utilisant le départ prochain de Claude sur le front vietnamien, Forman confronte une jeunesse libertaire à une société conformiste.

Au début du métrage, nous assistons à l’arrivée de notre groupe de héros à cheveux longs mené par le charismatique Berger dans le cadre d’une soirée privée. Renvoyés sous les regards accusateurs d’une bourgeoisie engoncée et vieillissante avec le concours de la police et des juges, cette scène centrale dans le récit, dénonce l’Amérique conservatrice qui réussit à faire taire la remise en cause de l’ordre établi avec l’appui des forces de l’état.

Le film aurait pu s’arrêter à une simple étude de mœurs du mouvement hippie tout en surfant sur une excellente bande originale blues rock. Des réalisateurs moins talentueux se seraient sans doute limités à un décorum nostalgique sur une époque où les coiffeurs pour hommes connaissaient la disette. Forman va, pour sa part, enrichir son propos en confrontant les personnages dans le dernier tiers du film à une société pas vraiment conciliante avec la liberté. Ce glissement est souligné par la scène du parc qui se déroule en hiver alors que le reste du film se passe majoritairement en été. Sous une neige qui annonce les croix blanches des Américains tués au combat, l’un des membres du groupe de hippie qui accompagne Claude, est rappelé aux responsabilités par la mère de son enfant. Cette confrontation au réel trouve son apogée dans le final bouleversant voulu par Forman qui émeut l’auteur de ces lignes à chaque vision du film.  Pour comprendre cette conclusion, il faut revenir en 1979, date de réalisation du film. 11 ans s’étaient passés depuis la création sur scène de la comédie musicale. Le punk est arrivé, et les sixties sont déjà oubliées. Milos Forman va donc modifier la fin de la comédie musicale en faisant du leader hippie Berger, le héros de l’histoire (au lieu de Claude dans le spectacle). Il est évident que Forman a voulu traiter le phénomène hippie comme une parenthèse enchantée très vite rattrapée par une dure réalité. À travers le destin de Berger, c’est l’idéal de paix presque messianique qui est brisé, annonçant l’Amérique déshumanisée de Reagan.

Le combat contre les réactionnaires ne finira donc jamais, comme le soulignent les plans finaux sur la Maison-Blanche.

Un classique à voir ou revoir en copie restaurée.

Mad Will