Il est tendance pour un habitant des villes, surtout les grandes, de se rêver un retour (ou un aller) vers ce qu’il appelle « la campagne » comme la promesse d’un quotidien apaisé.

Frank Beauvais, réalisateur, acteur, expert musical avait tout de l’intellectuel saturé de la grande ville lorsqu’il décide de s’installer en Alsace profonde, près du village où il a grandi. Mais après s’être séparé de son compagnon avec qui il partageait cette nouvelle vie rurale, Frank Beauvais se retrouve seul, dépressif, anxieux, et dans l’impossibilité financière d’envisager un retour à Paris, la ville qui l’aime et qui le comprend.

Durant ces heures sombres, le cinéaste est incapable de penser, de créer, alors il se nourrit des films des autres. Il regarde Jusqu’à cinq films par jour ou par nuit, il ingurgite tous les cinémas, les classiques, les inconnus, et sa cinéphilie devient folie. Reclus, diminué, il assiste également impuissant aux événements de l’année 2016 : l’omniprésence des militaires en ville, Nuit Debout, Nice, l’Irak, la Syrie, la mort de Michael Cimino. De ce drôle de temps, Frank Beauvais a tiré un texte, puis un long métrage.

Ne croyez surtout pas que je hurle est un essai cinématographique, uniquement composé de bribes de films, de quelques secondes pas plus, empruntées aux œuvres qu’il a frénétiquement regardées durant son exil. Montées bout à bout, ces micro-séquences accompagnent le récit lu en voix off par son auteur. Empruntées au passé, les images servent désormais au présent pour dresser un portrait terrifiant de la torpeur ambiante, d’une France repliée sur elle-même, dont le mutisme ne se rompt que lorsqu’elle se rend aux urnes. Frank Beauvais utilise sa voix, celle de cinéaste, de dépressif, de célibataire, de fils, avec un ton monocorde qui réussit à contenir l’émotion. Mais les images et les mots sont là, se répondent, s’illustrent, s’évoquent, et ce qu’il considère comme un cri étouffé devient un état des lieux hurlant, sidérant.

S.D.