En 1981, l’artiste français Sophie Calle se fait engager comme femme de chambre dans un luxueux hôtel vénitien. Durant trois semaines, elle photographie les effets personnels laissés par les clients dans les chambres et, à la manière d’une détective, imagine leurs histoires. Cette œuvre, L’Hôtel, fut la source d’inspiration de Lila Avilés pour son premier long métrage La Camarista. A la différence de Sophie Calle, la réalisatrice mexicaine ne construit pas tout à fait un portrait en creux des absents, mais oriente plutôt son film vers la description minutieuse du quotidien d’une femme de chambre.

Lila Avilés choisit une mise en scène en huis clos, entre déambulations dans les couloirs animés et plénitude des chambres vides. L’extérieur n’existe que dans le hors champ d’une conversation téléphonique ou à travers les grandes baies vitrées des chambres qui offrent une vue vertigineuse sur la capitale mexicaine. Malgré ce choix qui traduit à l’image un certain sentiment d’étouffement, le film évite un point de vue doloriste sur ses héroïnes, préférant les hisser au rang de femmes qui ont des ambitions et des désirs. Ainsi, Eve est déterminée à récupérer la belle robe rouge laissée aux objets trouvés, à obtenir le poste du 42ème étage du prestigieux hôtel Presidente, mieux rémunéré, et finit même par s'autoriser un flirt avec le laveur de vitres.

Du matin au soir, elle plie méticuleusement des draps, donne la forme parfaite à des oreillers, vide les poubelles et y récupère parfois quelques babioles intéressantes (une fleur séchée, un petit sac en papier décoré). Équipée d’un talkie-walkie, elle répond instantanément aux demandes loufoques de clients exigeants, ou aux besoins de ses supérieurs. La charge de travail semble harassante, et même si la jeune femme ne se plaint jamais, son regard triste suffit à comprendre que, pour une fois, elle aimerait finir à temps pour passer la soirée avec son fils qu’elle est obligée de faire garder. Il n’y a qu’aux côtés de Minitoy, sa joyeuse et tonitruante collègue de l’étage d’au-dessus, qu’elle retrouve le sourire lors d’une réjouissante scène de fou rire au milieu des piles de draps.

Au-delà de son côté fictionnel mené comme des sketches entre clients et employés (le VIP exigeant, la jeune mère sans gêne qui demande à faire garder son bébé…) La Camarista offre une belle réflexion sur les invisibles, ceux qui doivent être là tout en prenant soin de se faire oublier. Par sa profession, Eve a plus que personne accès à l’intime d’inconnus qu’elle ne connaîtra jamais puisqu’elle n’existe qu’en leur absence. Ce clivage prend un sens métaphorique si l’on pense à la société mexicaine où l’inégalité sociale et la séparation entre riches et pauvres est extrêmement marquée.

 

S.D.