Avec McQueen, les réalisateurs Ian Bonhôte et Peter Ettedgui retracent l’incroyable ascension puis descente aux enfers de l’un des stylistes les plus marquants de sa génération. À l’aide d’images d’archives et de précieux témoignages de l’entourage de Lee devenu Alexander, le film offre une vision très étoffée de la carrière de l’artiste mais aussi de ses travers et de ses excès.

Alexander né “Lee” McQueen voit le jour en 1969 à Stratford, un quartier populaire de l’Est londonien. Mauvais élève, Lee écourte son passage sur les bancs de l’école qu’il quitte à l'âge de seize ans, déterminé à apprendre la couture qui le passionne depuis l’enfance. Faute de pouvoir lui fournir un soutien financier, sa mère l’encourage à démarcher directement chez les tailleurs réputés de la capitale. C’est ainsi qu’en arpentant Savile Row (la rue londonienne des tailleurs), avec son culot pour unique CV, McQueen se fait engager comme apprenti et découvre les rudiments du métier. Utilisant le même bagout, il intègre peu de temps après la prestigieuse école de mode Central Saint Martins, où il cultive l’extraordinaire créativité dont il est doté. Lors de son premier défilé intitulé “Le viol de l’Ecosse”, les mannequins portent des vêtements gothiques lacérés. Le décor prend accidentellement feu, mais le show continue, ce qui vaudra au styliste en herbe un scandale - le premier d’une longue liste - mais aussi l’admiration d’Isabella Blow. Alors très influente, cette journaliste de mode prend le gamin des mauvais quartiers sous son aile et contribuera largement à sa nomination chez Givenchy en 1996, ainsi qu’à tout le succès qu’on lui connaît par la suite, jusqu’à son tragique décès à l’âge de quarante ans.

Avec sa carrure massive, ses jeans très larges, ses chemisettes à carreaux et son rire gras et franc, Alexander McQueen n’a pas l’apparence raffinée d’un Karl Lagerfeld ou d’un Marc Jacobs toujours tirés à quatre épingles. Pourtant, derrière ses allures de supporter de football et tout en conservant un côté bon vivant, se cache un jeune homme extrêmement précis et exigeant dans son travail. Comme en témoignent ses anciens collaborateurs Sebastian Pons (assistant styliste) et Mira Chai Hyde (styliste coiffure et maquillage), travailler aux côtés de McQueen fut toujours une fête. Le designer semble si attachant que sa petite troupe ne le quitte jamais, même à ses débuts, lorsqu’il faut enchaîner les nuits blanches pour produire les premières collections Alexander McQueen qui, bien qu’elles soient acclamées par la critique, ne rapportent pas un centime et obligent à un travail bénévole.

Alexander McQueen sait parfaitement sublimer ses pulsions de mort et de folie. Plus proche d’un happening que d’un défilé, chaque nouvelle présentation de collection est une explosion de tous les sentiments qui l’habitent, quand la noirceur des ambiances rencontrent l’humour provocateur d’un pantalon qui laisse entrevoir les fesses. McQueen représente des femmes libres, qu’il dit refuser d’habiller pour les hommes. Des femmes excentriques, à l’image de son amie Isabella Blow, des femmes conquérantes comme des dieux grecs lors de son premier défilé pour Givenchy, des femmes de toutes les couleurs, des femmes charnues : des femmes qui ne portent pas le vêtement mais qui le vivent.

Comme souvent, c’est la richesse soudaine qui détruira les liens de la famille McQueen. Après avoir été nommé à la tête de Givenchy pour le modique salaire de 400 000$, Alexander McQueen développe sa marque personnelle, produit jusqu’à quatorze collections par an. Pour tenir, il se noie dans l’alcool, la drogue et la suite logique de ces addictions sera la dépression. Devenu incontrôlable, il laisse partir ses amis et collaborateurs historiques qui le quittent à regrets. C’est là un atout du documentaire de n’occulter (presque) aucun point négatif de l’artiste et ainsi mettre en lumière l’aspect destructeur du milieu de la mode.

Que ce soit sa mère, sa sœur ou Isabella Blow, l’importance de la figure féminine chez McQueen s’apparente presque à une dépendance dont il ne parviendra jamais à se défaire… Refusant de faire le deuil de sa mère décédée en 2010, qui survint peu de temps après le suicide d’Isabella, Alexander McQueen met fin à ses jours le 11 février 2010, la veille des obsèques de sa mère. La mort faisait partie de ses grandes obsessions, dans de récurrent motifs : de grands oiseaux noirs, la couleur rouge ou l’utilisation de matières vivantes éphémères comme des cheveux ou des fleurs. Son suicide apparaît tristement comme une fin logique de ses années de travail et de recherche.

Construit à l’image de ce génie de la mode, McQueen vacille entre  grande mélancolie (dans les témoignages de sa sœur notamment) et euphorie. La bande originale composé par Michael Nyman habille avec entrain les cinq chapitres de cette fresque documentaire dont on sort réellement inspiré.

S.D.