Des six frères Cogitore on connaissait déjà Clément, génial cinéaste, documentariste et photographe, auteur (entres autres) de Braguino et Ni le ciel ni la terre. Touche à tout comme son aîné, Romain a lui aussi multiplié les expériences artistiques, plutôt du côté du théâtre et de la musique avant le cinéma. L’Autre Continent est son deuxième long métrage, huit ans après Nos Résistances qui narrait le parcours de deux adolescents résistants en 1944. Depuis Romain Cogitore a grandi, et ses personnages aussi. Maria et Olivier, les protagonistes de L’Autre Continent, sont de jeunes adultes, épris l’un de l’autre depuis leur première rencontre sur les marches d’un temple à Taïwan. Ils sont guides touristiques et partagent le même goût pour les langues étrangères, lui en maîtrise quatorze, elle un peu moins. Ils s’aiment en anglais, en mandarin, en allemand, en français jusqu’à ce qu’une tâche sur la radio du crâne d’Olivier révélant une leucémie vienne obscurcir tous leurs projets. Rapatriés d’urgence en France, le jeune couple doit se réadapter au monde occidental dont il s’était affranchi et affronter le combat contre la maladie.

Malgré qu’une bonne partie de l’action se déroule dans une chambre d’hôpital, L’Autre Continent n’appartient pas au genre du « film médical » mais bien à la romance, tourmentée par la mort, loin de la Love Story d'Arthur Hiller de 1970, emblématique du genre, qui ne partage avec le film de Romain Cogitore que le nom du héros. Ici l’enjeu n’est pas de savoir si notre Olivier va vivre ou mourir, mais plutôt comment Maria va appréhender sa nouvelle relation, avec un homme changé par la maladie, physiquement et mentalement. Le garçon a perdu l’usage des langues étrangères communes au couple, qui, bien que les deux jeunes gens soient francophones, ne se comprend plus. On notera la belle performance de Déborah François (révélée à seize ans dans l’Enfant des frères Dardenne) très émouvante sans avoir besoin de jouer les compagnes éplorées, face à Paul Hamy, l’ancien mannequin devenu acteur (L’Ornithologue, Jessica Forever, et bientôt Sybil de Justine Triet), étonnamment fragile sous sa carapace rocheuse. Côté mise en scène, on pourrait reprocher à Romain Cogitore quelques métaphores un peu poussées (des vues microscopiques, en comparaison à l’immensité) mais souligner aussi l’originalité de leur mise en œuvre, dans sa manière très douce et mélancolique de s’immiscer dans la mémoire d’Olivier. En commençant comme une comédie romantique avant de déboucher sur un drame, L’autre Continent est habité par tous les sentiments et bouleversements d’un chagrin d’amour.

S.D.