À travers le témoignage de trois femmes, Éveline Safir Lavalette, Alice Cherki et Zoulikha Bekaddour, la documentariste Fatima Sissani revient sur la période de guerre qui a précédé la naissance de la nation algérienne. L’entrecroisement du point de vue de ces femmes algériennes qui se sentaient ordinaires (la première est fille de colon, la deuxième juive et la troisième musulmane), permet au spectateur de se plonger dans la diversité d’une société en questionnement et en résistance face à la puissance colonisatrice occupante et de donner un contre-feu à la parole vantant les « bienfaits de la colonisation ».

Résistantes, malgré le fait que les témoignages de ces femmes portent essentiellement sur la période de la guerre, est un film d’actualité en cette époque d’incertitude liée à la difficulté qu’a le président Abdelaziz Bouteflika à lâcher le pouvoir, malgré la mobilisation de la société algérienne et sa jeunesse en particulier. Ainsi, les témoignages sont toujours édifiants, nous renseignant sur une période de l’Histoire déjà ancienne aux yeux de la majorité de la population tout en nous éclairant sur des évènements plus récents. En effet, l’Algérie n’a pas eu son « printemps arabe » la société étant verrouillée par ceux qui se revendiquent comme les seuls légitimes à assurer le pouvoir. Pourtant, dans le témoignage d’une des femmes, on sent déjà que dès 1962, certains, plus lucides que d’autres sentaient déjà poindre la désillusion. Ces femmes, à des degrés divers se sont senties petit à petit dépossédées de leur lutte. Toutes se sentaient algériennes, mais la société qui a suivi n’était pas celle dont elles rêvaient, entre arabisation à marche forcée et homogénéisation qui a nié les différences qu’elles revendiquaient et dont elles étaient la preuve par leur existence et leur combat.

Film très classique dans sa forme, il est également très pudique dans son contenu avec cette intervenante qui se refuse à témoigner encore une fois de « procédés de torture maintes fois décrits. ». Le film peut même s’avérer désespérant dans certains des propos des interviewées , « on se demande si le monde ce n’est pas ça » se questionne ainsi l’une des intervenantes pendant son emprisonnement,. Mais ce que l’on retient au final, c’est la force de conviction de ces femmes qui ont fait l’Histoire par leurs histoires et qui la continuent par leurs témoignages et leur engagement actuel. Ne les laissons pas devenir une nouvelle fois « invisibles », comme les autochtones l’étaient au moment de la colonisation, vivants dans deux mondes séparés et cloisonnés, les blancs d’un côté, les « Algériens de souche » de l’autre. Les invisibles, c’est le titre d’un film sorti récemment en France. N’y aurait-il pas par ces témoignages une leçon d’histoire à prendre ? Tout porte à croire que oui.

Un film essentiel pour comprendre la société algérienne d’aujourd’hui.

L.S.