Perversion Story a souvent été considéré comme la première incursion de Lucio Fulci dans le giallo (thriller à la frontière du cinéma policier, du cinéma d'horreur et de l'érotisme). C’est en effet un film charnière dans la carrière d’un réalisateur qui a commencé dans la comédie dans les années 60 et qui s’attaque au thriller en 1969 avec ce long-métrage. À noter que Fulci réalisera la même année un film historique Liens d'amour et de sang (Beatrice Cenci) qui ne rencontrera pas son public alors que ce drame féministe est l'œuvre préférée de son cinéaste. Noton aussi que Perversion Story a été écrit par Fulci avec l’aide de Roberto Gianviti qui collabora aux films du maître comme Le venin de la peur.

Si on qualifie Perversion Story de giallo c’est en raison du maniérisme dont fait preuve Fulci dans sa mise en scène plutôt que pour un scénario à la Columbo où l’on ne retrouve pas de tueur ganté s'attaquant à de jeunes femmes. Ici, Fulci marche plutôt dans les traces d’Hitchcock et de son Vertigo en plaçant son action à San Francisco, tout en nous donnant à voir deux femmes qui, malgré leur couleur de cheveux différente, semblent être la même personne.

On retrouve ici déjà le goût pour le macabre du réalisateur avec cette séquence d’amour où le héros projette inconsciemment des images de sa femme morte sur le corps de la jeune stripteaseuse. Mais Perversion Story est surtout un exercice de style où Fulci fait preuve d’un sacré talent de plasticien avec des cadrages magnifiques, et une lumière toute en clair-obscur qui dénonce une société en apparence civilisée où chacun dissimule une personnalité noire et déviante. Enfin, comme souvent chez le maître dont la mise en scène au fur et à mesure des années ira vers l’abstraction, il ne porte aucune intention aux dialogues et c’est bel et bien sa caméra qui est le moteur de l’action et fait avancer le récit. C’est ainsi que lorsque l’on regarde le film une seconde fois, on remarque que dès l’ouverture, Fulci, par le biais de la profondeur du champ et de ses cadres parfois tarabiscotés, nous donne les clefs de l’histoire.

Du point de vue de la distribution, on retrouve Marisa Mell dont la beauté fulgurante avait déjà marqué les fans du cinéma italien avec l’extraordinaire Danger Diabolik. À ses côtés, nous avons Jean Sorel qui commença sa carrière dans le cinéma français et qui joua beaucoup en Italie dans les années 60 et 70. Un acteur vu chez Sidney Lumet, Visconti et Vadim et qui retrouvera Lucio Fulci pour Le Venin de la peur.

Premier giallo de Fulci, Perversion Story n’est pas le meilleur film de son auteur en raison d’un scénario attendu même si le maestro nous offre une réalisation de haute tenue et une photographie pop absolument splendide. Perversion Story  témoigne surtout du talent d’une génération de cinéastes italiens qui essayaient de faire des films avant-gardistes alors qu’ils étaient dans le cadre d’une commande faite par un producteur qui voulait avant tout vendre un film d’exploitation. Un exemple que devraient suivre les jeunes réalisateurs actuels sans génie qui signent à tour de bras des films d’horreur sans âme. À noter que la racoleuse affiche d'époque sous-entend que nous avons à faire à une réalisation érotique alors qu’en réalité, le film est un policier particulièrement réussi.

Mad Will