Une blonde émoustillante, Trains étroitement surveillés, et Alouettes, le fil à la patte sont trois films du réalisateur tchécoslovaque Jiří Menzel, ressortis en version restaurée par Malavida pour notre plus grand plaisir. J’ai choisi aujourd’hui de chroniquer Alouettes, le fil à la patte, achevé en 1969 mais sorti seulement en 1990, normalisation post printemps de Prague et censure oblige. Ce long-métrage remportera ainsi  l’Ours d’or au festival de Berlin 21 ans après sa réalisation !

Qu’il soit un film critique de la société de son temps, le spectateur s’en aperçoit dès les trois premières minutes. Après un panoramique sur une usine sidérurgique fumante et un commentaire « 1948, la classe ouvrière prit le pouvoir », la caméra s’attarde à présent sur des ouvriers endormis sous des panneaux de propagande où s’affichent les slogans « travaillons dans la joie »  ou « toujours plus, toujours mieux ». Nous avons ici à faire à des ferrailleurs qui sont en grève. À leurs côtés,  nous retrouvons des femmes qui déchargent un wagon. Nous apprendrons par la suite que ce sont des condamnées pour trahison qui ont voulu quitter la Tchécoslovaquie sans autorisation.

Dans cet immense dépotoir de ferraille où la production est vite expédiée et revient sans cesse aux fourneaux, les hommes vivent et malgré leur condition peu enviable (la plupart sont des « bourgeois » rééduqués dans cette usine), ils sont à la fois poètes, philosophes ou voyeurs à leurs heures, nous révélant devant la caméra leurs secrets et leurs pensées les plus intimes. Si le régime peut emprisonner les corps, il ne peut cependant pas empêcher les esprits de vagabonder.

En outre, en plus d’être une critique sociale acide où les objets s’entassent comme dans un inventaire à la Prévert, le film nous donne  voir une histoire d’amour qui provoquera moult situations cocasses entre l’un des ouvriers, Pavel (Václav Neckár) et l’une des détenues Jitka (Jitka Zelenohorská) . Comme dans Trains étroitement surveillés, Menzel nous conte des amours qui sont sans cesse contrariés par un régime et des situations qui éloignent les amants à chaque fois qu’ils pensent pouvoir se retrouver. De là à penser à une métaphore sous-jacente de la liberté, il n’y a qu’un pas que le spectateur peut s’autoriser à franchir.

Alternant entre les registres de la tragédie et de la comédie, cette satire se révèle être un très grand film.

Laurent Schérer