Sorti en 1990, l’Échelle de Jacob est un incontournable du cinéma d’horreur et fantastique souvent bien connu des cinéphiles.

Réalisé par Adrian Lyne, ce 6e long métrage est avant tout un OVNI dans la filmographie de ce réalisateur souvent honni par la critique mais aux succès populaires incontestables (Flashdance (1983), 9 semaines et demi (1986), Liaison fatale (1987)).

Arrive alors L’échelle de Jacob, son premier échec au box-office mais pourtant le film le plus intéressant de sa carrière. Une œuvre très singulière, à la fois film d’horreur et fable politique traversée par des fulgurances visuelles magistrales qui lorgnent du côté de Lovecraft et qui proposent aussi parfois des vrais moments de poésie.

Mais de quoi parle le film ?

Jacob Singer (Tim Robbins) est un soldat américain qui a combattu au Vietnam. De retour à la vie civile il reste hanté par des épisodes de guerre. Alors que les cauchemars se font de plus en plus oppressants il tente de comprendre ce qu’il lui arrive

L’échelle de Jacob est d’abord un film d’ambiance incroyable.

Le héros est traversé de délires terrifiants et se met à voir des choses qu’il ne devrait pas voir. Des visions lovecraftiennes qui participent beaucoup à cette atmosphère horrifique et que Adrian Lyne a choisi de représenter en utilisant des techniques de cinéma expérimental (travail sur le nombre d’images par secondes notamment) et non des effets spéciaux plus traditionnels réalisés en post production. Le résultant est sidérant et happe le spectateur dans les tourments de Jacob. A ces effets s’ajoutent des séquences très inspirées (la séquence de l’hôpital par exemple) qui déploient tout un imaginaire de cauchemar. Car en effet, Jacob semble bel et bien prisonnier d'une réalité qui le dépasse et plus il tente de comprendre ses perceptions moins il voit clair.

L’échelle de Jacob est une traversée à l'esthétique unique et impressionnante qui influencera beaucoup d’œuvres par la suite. On peut penser au cinéma de Balaguero ou à un jeu vidéo comme Silent Hill qui cite expressément le film comme source d’inspiration

La mise en scène joue beaucoup avec des plans quasi-subliminaux, un d’éclairage permanent et parfois stroboscopique et un travail sonore qui brouille les repères habituels. Ses effets sont d’ailleurs accentués par un délabrement narratif qui perd le spectateur à mesure que Jacob se perd lui-même.

Ce voyage dans un cauchemar est l’un des premiers films à twist (avant Usual Suspects et Fight Club pour les plus célèbres) et reste souvent associé au brillant Angel Heart de Alan Parker sorti en 1987. Jouant habilement entre le rêve et la réalité, le film est pensé comme un puzzle et la seconde lecture révèle un film extrêmement bien réfléchi et ordonné

Le film possède aussi un sous-texte fort puisqu’il sort à la fin de l’ère Reagan et qu’il choisit un traitement halluciné pour parler des effets post-traumatiques de la guerre. Un drame politique où Adrian Lyne utilise la mort comme révélateur (mais à un niveau différent du film de Bob Clark qui est beaucoup plus dans le premier degré) en plongeant cet ancien militaire dans une course contre la montre pour comprendre ses troubles et en tissant en toile de fond un complot gouvernemental.

Aprs le climax, Adrian Lyne relâche la tension et réussit à proposer des séquences empreintes de beaucoup de poésie. Un équilibre risqué mais qui paye. Le héros est alors souvent rapproché de Dante dans sa tentative de faire la paix avec lui-même. Les dernières séquences s’éloignent du chaos et proposent quelque chose d’inexorable mais de très apaisant. Rétrospectivement le film semble innervé par une certaine poésie. Tout cet aspect doit beaucoup à la musique épurée et très mélancolique de Maurice Jarre qui a priori tranche avec la forme du film mais pour mieux rejoindre le fond.

Thomas