A trente ans bien sonnés, bien qu’il ait un enfant, Georges (Nuno Lopes) vit toujours chez son père. Fier d’avoir travaillé toute sa vie, celui-ci est incapable de comprendre le nouveau contexte qui rend structurellement impossible à son fils de reproduire la même trajectoire que lui et l’accable donc des remarques les plus désobligeantes sur sa prétendue fainéantise. Raciste de surcroît, il s’est conduit si mesquinement avec la campagne brésilienne (Mariana Nunes) de Georges qu’elle a préféré les laisser lui et leur fils pour vivre dans un logement insalubre mais autonome. Dans ce contexte précaire, les deux parents n’ont d’autre lieu pour se retrouver charnellement que la voiture de Georges. Pour ne pas perdre sa compagne qui souhaite rentrer au Brésil où les conditions de vie sont désormais plus attrayantes que celles d’un Portugal tiers-mondisé, Georges vend ses talents de boxeur à une société de recouvrement de dettes. Chargé de maintenir la pression sur les ménages surendettés pour les forcer à rembourser avec le moindre des centimes qu’ils arrivent à sauvegarder pour vivre, il est payé pour collaborer très concrètement au dépouillement de plus pauvres que lui. Conséquence extrême d’un système économique amoral, il est donc contraint de reproduire sur autrui la violence qu’il subit lui-même.

   A travers l’histoire d’un Portugais ordinaire, et comme l’avait brillamment fait Stéphane Brizé dans le bien nommé La loi du marché, Marco Martins montre que la dérégulation économique mène à la dissolution de fait de l’état de droit. Alors que celui-ci devrait garantir à chaque être humain la protection de son intégrité physique mais aussi morale, le réalisateur montre bien que le libéralisme met en péril les deux. En filmant la détérioration des liens du couple liée à l’impossibilité d’avoir une chambre à eux, le réalisateur pointe du doigt l’engrenage sournois par lequel la précarité économique mène à la précarité affective. Plus fort encore, il donne à voir toute l’infamie de cette politique du laisser-faire qui, non content d’atteindre les hommes dans l’intimité de leurs rapports aux autres, répand son venin jusque dans leurs consciences. En effet, par leur volontaire complaisance envers un taux de chômage structurellement élevé, les économistes libéraux font du travail une ressource limitante. Mécaniquement, la raréfaction de cette ressource essentielle à la survie matérielle des hommes accroît la lutte pour son obtention et oblige ceux qui veulent maintenir la tête hors de l’eau à multiplier les compromissions. Pour mettre au diapason l’atmosphère du film avec la noirceur de son contenu, Marco Martins peut compter sur son fidèle directeur de la photographie, Carlos Lopes, dont l’obscurité maîtrisée des images retranscrit tout à fait la tonalité morale d’une économie dévoyée de sa fonction première qui, au lieu d’encourager vertueusement les échanges entre les hommes, les contraint à redevenir des animaux luttant pour leur survie.

F.L.