Disponible sur Netflix depuis quelques semaines, cette production d'Álex de la Iglesia est à découvrir. Si elle n’est pas exempte de défauts, son originalité lui permet de se différencier des longs-métrages horrifiques avec tueurs en série et possédés qui pullulent chez le géant de la SVOD.

Le film de Paul Urkijo s’inspire d’un conte basque Patxi errmentari mettant en scène un forgeron qui a vendu son âme à un démon appelé Sartael. Une jeune orpheline du nom d’Usue pénètre dans la forge et découvre que son propriétaire retient le démon enfermé. Au même moment, un homme se réclamant du gouvernement central, arrive dans le village où vit l’enfant et indique à ses cupides habitants que le forgeron détient de l’or.

Errementari est une série B souvent inégale. Les images du film, bien que soignées, ont du mal à masquer l’emploi d’un matériel de prise de vue que l’on devine semblable à celui des séries à petit budget avec une image numérique trop lisse et qui manque de définition. De même, le cinéaste recourt à une photographie souvent trop sombre qui manque de lisibilité. Ce parti-pris esthétique est avant tout un choix économique pour nous dissimuler les limites de son maquillage de démon. Concernant le découpage, il manque d’une identité propre surtout dans les scènes de suspens. Je pense tout particulièrement à cette scène où la petite fille terrifiée s’est cachée sous un pont pour échapper au forgeron. Le réalisateur se contente ici de filmer de façon frontale le décor dans un plan demi ensemble au lieu d’utiliser toutes les possibilités de montage du cinéma pour créer une scène de suspens.

Concernant les acteurs du film, l’interprète du forgeron et la petite fille s’en tirent avec les honneurs à la différence du reste du casting qui n’aura jamais un Goya (César espagnol). Enfin, le film montre quelques faiblesses dans son écriture, le scénario recourt trop souvent aux flash-back à la manière de la série Highlander pour surligner un passé dont nous avions compris les implications dès le début du film. Le scénario est en effet trop mécanique surtout dans sa première partie où les événements se succèdent grâce à des personnages qui se rendent d’un point  A  à un point B pour enclencher un nouvel événement à la manière d’un RPG (jeux vidéo de rôle) à la Final Fantasy 7.

Et pourtant, ce conte est parvenu à m’enchanter au fur et à mesure de son déroulement, me faisant oublier les défauts du film que j’ai précédemment cités.  Tout d’abord, ce long-métrage donne à voir à l’écran le sous-texte dépressif et gothique des contes de fées de Grimm. Nous ne sommes définitivement pas chez Walt Disney dans ce Errementari qui  évoque le suicide, l’aspect vénal de l’homme et la main mise de l’église sur les consciences. De même, la direction artistique même désargentée avec son démon fourchu m’a fait parfois penser au plus « beau » (au sens plastique) film d’Heroic Fantasy jamais réalisé, le Legend de Ridley Scott dont le méchant Darkness reste la plus magnifique créature créée par un studio d’effets spéciaux.

Le dernier tiers du film est très impressionnant avec une imagerie inspirée du peintre Jérôme Bosch qui a peint Le jardin des délices. Les plans qui concluent le film sont particulièrement iconiques avec cet homme qui porte sur le dos une cloche et part affronter des enfers très inspirés par la peinture moyenâgeuse.  Nous avons à faire à de beaux plans de cinéma qui transcendent les limites du film précédemment citées dans la critique et qui me font beaucoup espérer de la part son réalisateur.

Ce film montre que les réalisateurs européens, quand ils s’inspirent de leur propre folklore, sont capables de produire des oeuvres originales beaucoup plus riches thématiquement que leurs homologues outre-Atlantique. Produit dans un pays où le catholicisme a joué un rôle politique souvent regrettable (inquisition, autodafé, soutien au franquisme …), en s’appuyant sur la notion de péché pour régenter les masses, le film milite pour la philosophie existentialiste en nous donnant à voir un enfer où les gens se rendent de leur plein gré pour essayer se soulager de leur culpabilité.

Une œuvre imparfaite, qui ne possède pas la maestria visuelle et la qualité scénaristique des meilleurs films de son producteur Álex de la Iglesia, mais un long métrage que j’ai envie de soutenir pour son originalité et sa prise de risques.


Mad Will