Le film Les Faucons de la nuit met en scène une figure indestructible du cinéma américain depuis la fin des années 70 qui a survécu à toutes les modes. Une masse de muscles souvent déconsidérée, honnie par de nombreux critiques, qui fut même enterrée pendant un temps par la profession, mais qui à l’instar de son alter ego Rocky, n’a jamais été mis KO.

De Rocky aux Faucons de la nuit

La saga Rocky qu’a créée Stallone est assez fascinante. Au-delà de la qualité intrinsèque de l’œuvre ou de l’affection que l’on peut porter au personnage principal, il est rare de voir une création artistique devenir à ce point le reflet de la vie de son interprète principal.  Rocky c’est l’ascension fulgurante d’un boxeur de seconde zone. Stallone nous le montrera au sommet, grisé par la réussite, mais aussi abandonné et oublié de tous.  Cette histoire est avant tout celle d’un acteur qui a accédé aux Oscars alors qu’il vivait dans une grande pauvreté et que bon nombre de directeurs de casting ne lui voyaient pas d’avenir en raison d’une paralysie faciale qui ne facilitait pas sa prononciation. Avant la célébrité, il vit dans un quartier malfamé, mais reste convaincu qu’un grand destin l’attend au coin de la rue. Les grands rôles ne viennent pas à lui. Pas grave, Stallone se met devant la machine à écrire et rédige le scénario du plus célèbre boxeur de Philadelphie. Certains studios sont intéressés par le script, mais ne veulent pas de Stallone dans le rôle. Il tient tête aux producteurs : Rocky ce sera avec moi ou pas. C’est en 76 que la production du film est lancée avec un budget minimum et un tournage commando. Mais surprise, le film est un carton et Stallone se retrouve carrément nominé aux Oscars en tant que meilleur acteur et scénariste.

Sa carrière est lancée et il reviendra régulièrement à ce rôle qui le montrera imbu de lui-même et incapable de remonter sur le ring dans Rocky 3, puis figure de lance du reaganisme (Rocky 4). Il n’hésitera pas non plus à se mettre en scène comme un has been incapable d’être père (Rocky 5) ou comme une ancienne légende au crépuscule de sa vie (Rocky Balboa, Creed). Mais Rocky à l’instar de Rambo fut aussi une malédiction pour son interprète qui aurait souhaité être reconnu pour ses qualités d’acteur et de réalisateur et qui fut souvent réduit aux deux personnages qui l’ont rendu célèbre. L’acteur pressentant le danger s’était pourtant associé juste après le premier Rocky à Norman Jewison, cinéaste plutôt intellectuel pour un biopic sur Jimmy Hoffat intitulé FIST. Mais ce film, tentative de tourner dans une œuvre dramatique, ne rencontrera pas son public. Son film suivant, le touchant La taverne de l’enfer dont il signe la mise en scène sera un nouvel échec commercial. La carrière de Stallone compte d’excellents films d’action comme Haute Sécurité ou des métrages plus intimistes comme Copland, mais aucun de ses films n’a eu l’impact public de Rocky ou de Rambo à l’exception d’Expandables.

Les Faucons de la nuit a été réalisé après un Rocky 2 mis en scène et interprété par Stallone qui souhaitait redorer son blason après plusieurs déconvenues au box-office. Sorti la même année que le drame sportif À nous la victoire où Sylvester jouait au football, Les Faucons de la nuit s’inspire du script du troisième volet de French Connection qui ne fut jamais tourné.

Stallone espérait changer de registre avec ce thriller autour du terrorisme. Il réécrit donc le scénario et le recentre sur son personnage de flic désabusé. Le tournage commence, mais les relations sont très tendues entre la star et le réalisateur du Trou Noir, Gary Nelson, qui est remercié au bout de quelques semaines. Le nouveau metteur en scène choisi par la production et la star est l’inexpérimenté Bruce Malmuth qui aurait été recommandé par le réalisateur du premier Rocky : John G. Avildsen. Selon la rumeur, Bruce n’aurait pas fait grand-chose sur le plateau. Pour sa défense, il n’est pas forcément évident de tourner avec un acteur également réalisateur, qui a commencé à diriger en votre absence des séquences comme la poursuite dans le métro. Pour jouer face à Stallone, la production va faire appel au hollandais Rutger Hauer qui s’est fait un nom grâce à son association avec Paul Verhoeven sur des films comme Soldier of Orange ou Spetters. Sa remarquable prestation dans Les Faucons de la nuit sera déterminante dans l’esprit des producteurs de Blade Runner quand ils chercheront un interprète pour le chef des réplicants

Le tournage ne sera pas simple avec un réalisateur vite dépassé et un Sylvester qui régente tout et dont les relations sont tendues avec Rutger. Un premier montage est proposé à la production qui le refuse et décide de remonter le film en ne gardant que les scènes d’actions avec la star de Rocky. Lindsay Wagner qui jouait la femme de Stallone a été étonnée quand elle a vu que la quasi-intégralité de ses scènes avaient disparu dans la copie finale. Les Faucons de la nuit sort en 1981 et c’est un nouvel échec au box-office.

Quand on regarde Les faucons de la nuit, une séquence mise en boîte par Stallone retient particulièrement notre attention : La poursuite dans le métro. Découpage précis, utilisation de décors naturels qui rend la scène crédible, le montage s’accélère jusqu’à l’affrontement final sur le quai de métro où Sylvester est obligé de laisser s’enfuir le terroriste pour sauver la vie d’un otage. L’acteur s’avère aussi excellent avec une caméra qu’avec ses poings sur les rings de boxe, créant un climat de tension grâce à une mise en scène digne de Don Siegel sur L’inspecteur Harry. Le film nous donne à voir une autre séquence particulièrement bien réalisée qui prend place dans une boîte de nuit où résonne une musique disco. Par le biais d’un montage alterné et l’utilisation de cadres de plus en plus serrés, le film oppose sous la lumière des stroboscopes, la force physique incarnée par Stallone à un Hauer plus sadique et intellectuel qui agit comme un animal à sang froid prêt à se jeter sur sa prochaine victime.

En ces temps de blockbusters aseptisés, on est marqué par l’aspect social du film qui n’hésite pas à nous mettre en scène de façon presque documentaire des quartiers délabrés de New York où règne la misère. Le film nous donne en effet à voir un New York pré-Giuliani, où l’on n’efface pas ce qui pourrait déranger l’œil du spectateur bobo par le biais du numérique. Enfin, pour l’amoureux de giallo que je suis, la séquence finale rappelle l’école italienne du cinéma d’horreur que Stallone connaît bien comme l’avait expliqué son fils Sage qui parlait de la passion de son père pour Suspiria.

Le film fonctionne grâce à la prestation assez intense de Rutger Hauer. Charismatique, d’une classe folle (pour les années 80), il arrive à donner vie à un personnage qui est capable du pire tout en se convaincant qu’il agit pour le bien de tous. Hauer dans les années 80 est vraiment un acteur surdoué. Il est regrettable que ses tristes choix de carrière et ses frasques l’aient empêché d’avoir une filmographie à la hauteur de son talent. À noter que durant le tournage, Stallone aurait eu peur de se faire voler la vedette par l’acteur d’origine hollandaise qui avait tendance à le provoquer. Les rapports parfois belliqueux entre eux ont alimenté leur opposition qui fonctionne très bien à l’image. Enfin, pour les plus geeks d’entre nous, nous retrouvons Billy Dee Williams, le Lando Calrissian de Star Wars et Lindsay Wagner qui fut Super Jaimie à la télévision.

Le film est vraiment agréable à regarder malgré les coupes multiples qu'il a subies. Néanmoins le résultat reste assez éloigné du script original de David Shabre qui se voulait un portait ambitieux du terrorisme international. Les Faucons de la nuit est avant tout une honnête série B qui repose sur le charisme de ses acteurs principaux.

Le film reste un cas d’école assez intéressant sur une star (Stallone) qui essaye de déconstruire son statut d’homme d’action indestructible. En effet, avec sa barbe et ses cheveux longs, l'acteur adopte un look négligé afin de rompre avec l’image aseptisée qu’ont de lui les spectateurs. Il porte également des lunettes pour faire penser au spectateur que son personnage n’est pas seulement un homme d’action. Stallone en interview évoque un gros travail sur le personnage féminin dans le scénario. L’acteur voulait mettre en place une vraie romance afin d’humaniser son personnage. Sa partenaire Lindsay Wagner évoque ainsi des scènes tendres aujourd'hui disparues où l’acteur s’est beaucoup investi.  Mais Stallone va plus loin dans sa volonté de rompre avec son image de surhomme à la virilité affirmée comme le soulignent les différentes scènes où il se travestit en femme pour piéger des malfrats. La scène finale est à ce titre resté culte avec un Sylvester habillé en robe qui porte une perruque.

À noter que son personnage n’est jamais présenté comme un justicier. Il privilégie les vies humaines à sa mission. Deke DaSilva dans le film, c’est l’anti Rambo. Quand on connaît Stallone, on n’est pas surpris, car l’homme qui se cache derrière les muscles est loin d’être l’idiot dont les médias ont fait un portrait à charge. Cinéphile, amoureux d’Edgar Allan Poe dont il souhaite faire une biographie depuis bientôt 40 ans, l’acteur est plutôt cultivé. Rocky aura été au final, une bénédiction pour les finances et la reconnaissance de Stallone, mais aussi une malédiction pour la suite de sa carrière. En effet, à chaque fois que l’acteur a voulu échapper à sa stature d’homme d’action comme dans Copland, le public ne l'a pas suivi.

Le long-métrage Les Faucons de la nuit est à redécouvrir chez L’atelier d’images dans une magnifique édition Blu-ray.

Mad Will