Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos (Canine, The Lobster) adapte l’histoire de la reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman), très instable physiquement et mentalement, triste mère de dix-sept enfants, tous morts-nés ou décédés avant l’âge de deux ans. Pour échapper à sa grande solitude, elle se lie d’une amitié très fusionnelle avec Sarah Churchill, la duchesse de Marlborough (Rachel Weisz) qui devient également sa grande conseillère politique, Anne se désintéressant de cet aspect de son règne. Lanthimos s'attache à un épisode particulier de la vie de la reine, lorsqu’elle rencontre en 1704 Abigail Hill (Emma Stone), la cousine de Sarah, embauchée par cette dernière aux cuisines de la cour. Très vite, le tempérament joueur d’Abigail séduit Anne et l’ancienne servante devient la favorite, au grand dam de Sarah qui voit ce rapprochement d’un très mauvais œil. Se livre alors un combat sans pitié entre les deux prétendantes pour gagner les faveurs de la reine qui, elle, se délecte d’être le sujet de ce duel.

Malgré l’affluence de petits gâteaux et de grandes étoffes, nous sommes loin de l’univers rose bonbon que Sofia Coppola retraçait de la vie de château au XVIIIe siècle dans Marie-Antoinette. Yorgos Lanthimos adopte une image très contrastée, façon toile du Caravage, tout en noir de nuit et jaune de bougie, où les couloirs sombres du palais ressemblent plus à ceux d’un train fantôme qu’à ceux d’une douillette demeure. Il faut dire que malgré certains points communs qu’elle pourrait partager avec l’Autrichienne (la solitude et la distraction permanente), Anne d’Angleterre se révèle un personnage très sombre, colérique, imprévisible et autoritaire. Sa laideur relative (à cause de ses diverses maladies) la prive de confiance en elle et l’oblige à porter des maquillages qui la rende encore plus hideuse, jusqu’à devenir la risée des courtisans. Le personnage évolue ainsi pendant le film, passant de détestable à pathétique, tandis que Sarah et Abigail rayonnent par leur beauté et leur intelligence. Les deux femmes mettent en place toutes sortes de stratagèmes délirants pour s’éliminer, et leur jalousie enfantine contraste alors avec les enjeux politiques, la France et l’Angleterre sont en guerre, qu’Anne finit par reprendre en main.

Les trois femmes puissantes, une reine et ses deux amies que leur folle ambition a rendues détestables, sont extrêmement isolées dans le château (l’usage récurrent du grand angle le souligne), les hommes sont morts, absents, ou idiots : on les voit s’adonner à des jeux étranges (une bataille de fruits nus) ou parier futilement sur leurs futures conquêtes féminines. Ils ne sont que la toile de fond de la guerre des femmes, faite de méchancetés et de perfidies, mais le réalisateur semble leur porter une grande tendresse, on apprend de chacune que derrière leur colère se cache un passé tragique, et leur offre une possibilité de rédemption. Comme dans tous les films de Yorgos Lanthimos, le récit s’articule autour de rapports de cruauté et de sadisme, en laissant une petite place à l’amour. Bien qu’il se termine d’une manière assez décevante, La Favorite remplit le contrat du film en costumes et dresse un portrait intéressant d’une reine jusque-là peu représentée au cinéma, qui plus est merveilleusement interprétée par la géniale Olivia Colman.

S.D.