L’affrontement israélo-palestinien a inspiré bon nombre de cinéastes, naturellement plutôt sous l’angle du thriller (Bethléem de Yuval Adler, 2014), et du drame (Free Zone d’Amos Gitaï, 2005) que de la comédie. C’est pourtant le pari que s’est, après d’autres, lancé Sameh Zoabi avec son second long métrage et qu’il réussit pleinement. On y retrouve Salem, un trentenaire désabusé vivant à Jérusalem, pistonné par son oncle comme renfort sur le tournage du soap opera le plus regardé du pays, Tel Aviv on Fire. Pour se rendre sur son lieu de travail à Ramallah, Salem doit chaque jour passer un checkpoint bien gardé par Assi, un officier israélien. Un jour, les deux hommes entrent en conflit, et, pour s’en sortir, Salem promet à Assi de lui livrer quotidiennement des informations sur le feuilleton. Assi y voit ainsi une occasion en or de briller devant sa femme, complètement accro aux brûlants rebondissements de la série, et exige même de Salem qu’il le laisse s'immiscer dans l’écriture du scénario.

Le film s’ouvre à l’aube de la guerre des Six-Jours de 1967, une espionne arabe amourachée d’un chef militaire palestinien est chargée de charmer puis d’espionner le général adverse. Evidemment, la jeune femme se retrouve perdue entre les deux hommes -et donc entre les deux camps- et la tension reste insoutenable jusqu’à ce qu’un réalisateur crie “Coupez !” : nous sommes sur le tournage de Tel Aviv on Fire. Salem vient de rejoindre l’équipe, sans grande conviction, atterré par la stupidité des dialogues.

La parodie est facile mais fonctionne toujours, et surtout sert parfaitement le sujet puisqu’elle permet une constante double lecture, les péripéties du soap opera résonant avec l’actuelle situation du conflit intercommunautaire. Il y a d’un côté le producteur de la série, ancien vétéran signataire des accords d’Oslo, qui voue une haine féroce aux Israéliens, et de l’autre Assi, l’officier du checkpoint qui la lui rend bien, par l’intermédiaire du pauvre Salem. Son air lassé et sa moue dubitative est bien la voix de la raison, celle qui n’adhère réellement à aucun parti, mais demande juste à pouvoir se rendre tous les jours au travail sans que cela soit une affaire d’État. Ce que le film dénonce par la caricature, c’est la stérilité du conflit qui ne semble reposer sur rien mis à part un besoin de broyer l’autre pour se sentir exister le jour, mais finalement se retrouver le soir réunis par la même passion : Tel Aviv on Fire, autant regardé par les Israéliens que les Palestiniens.

Drôle et tendre malgré la tension du sujet, le film se regarde lui aussi comme un bon feuilleton, sans grande prétention, mais très efficace. Kais Nashif est excellent dans le rôle de Salem, son visage tragi-comique incarnant à lui seul la vacuité du conflit qu’il ramène à échelle humaine, dans le quotidien de son petit monde.

Suzanne Dureau