Dix-neuf ans après Incassable et deux ans après Split, le maître du thriller américain M. Night Shyamalan vient enfin de clore sa trilogie avec Glass, son tout nouveau film qui réunit David Dunn (Bruce Willis), Elijah Price (Samuel L. Jackson) et Kevin Crumb ou “La Horde” (James McAvoy).

Avant de décortiquer l’affaire, petit rappel (sans trop spoiler) des caractéristiques de ces trois protagonistes, pour ceux qui n’auraient pas revu Incassable depuis sa sortie et/ou seraient passé à côté de Split : après avoir été le seul survivant d’un accident de train, David Dunn comprend qu’il est doté d’une force surhumaine et d’une capacité à ressentir d'où vient le danger. C’est Elijah Price, doté d’une super intelligence mais victime de la maladie des os de verre, condamné à vivre en institut et passionné de comics qui le mène à ce raisonnement, étant persuadé que s’il existe sur Terre des gens physiquement plus faibles que la moyenne (comme c’est son cas), il en existe au contraire des plus forts. Dans Split, James McAvoy interprète un personnage souffrant de schizophrénie extrême, capable d’endosser vingt-trois personnalités dont certaines très dangereuses comme La Bête. Il retient trois jeunes filles en otage dont Casey avec qui il lie un lien particulier grâce à une découverte que nous ne dévoilerons pas. Nous retrouvons d’ailleurs l’adolescente également dans Glass, ainsi que Joseph, le fils de David Dunn. Si ces deux premiers films n’ont de prime abord pas de grandes similitudes, il s’avère qu’ils se rejoignent dans leur univers rappelant ceux des comics américains : David Dunn est le Superviseur, Kevin Crumb est la Horde et Elijah Price est Monsieur Glass, à qui ce dernier opus est majoritairement consacré. Le malicieux cinéaste pense aussi aux inconditionnels de Incassable en y faisant plusieurs fois référence, déjà par le retour dix-neuf ans après de l’acteur Spencer Treat Clark dans le rôle de Joseph Dunn, ainsi qu’en utilisant des scènes coupées de ce premier opus de la saga pour créer des flash-back dans le passé de David Dunn.

Mais après s’être amusé à retrouver tous les liens entre les trois films, que reste-t-il de cet épisode final ? Une proposition intéressante de super héros “anti Marvel” puisqu’on y retrouve nos supers héros en petite forme, contraints d’entreprendre le grand voyage introspectif. Ils sont placés dans un contexte très différent de leurs habitudes, à savoir dans le non-spectaculaire, propre au cinéma de Shyamalan qui cultive la tension dans la contemplation plus que dans l’action pure. Pas de courses poursuites haletantes dans les rames d’un métro, de prises d’otages massives ou d’explosions de grands monuments.  L’isolement géographique des protagonistes permet au cinéaste de déployer tout son génie pour la mise en scène, en s’affranchissant des luxueux décors façon Disney, préférant opter par des endroits très ordinaires. Tout commence dans une usine désaffectée, se poursuit dans hôpital vide aux murs rosâtres et s’achève sur un parking public. Glass bouscule également la systématisation du Bien et du Mal dans les comics,  avec un personnage comme La Horde qui se situe vraiment à la lisière entre les deux.

Dans Glass, Shyamalan convoque donc ses trois personnages dans une nouvelle histoire qui répond à certaines interrogations des films précédents mais amène aussi de nouvelles problématiques autour de l’image des “super héros”. Suite à une altercation, David Dunn et Kevin Crumb se retrouvent internés dans le même hôpital psychiatrique que Elijah Price qui se fait désormais appeler “Monsieur Glass”. Ils sont tous les trois sous l’observation du docteur Staple (Sarah Paulson), un personnage un peu insipide dont il faut attendre l’épilogue pour comprendre la présence. La majeure partie du film se passe donc entre les murs de l’asile, quasiment en huis clos. Glass s’ouvre et se termine en trombe mais le corps du récit passe par la parole plus que par l’action. David et Kevin étant en hôpital, donc sur le terrain d’Elijah, sont contraints d’adopter son mode de vie d’infirme. Enfermés, privés de l'adrénaline des combats, ils doivent se contenter d’être des hommes ordinaires tout en cherchant à s’échapper. A la surprise des amateurs du genre, c’est donc sur un enchaînement de discussions et de réflexions sur la présence des super héros sur Terre que le film se construit.

Pourtant, David, Elijah et Kevin sont aussi des héros des comic books, et Shyamalan le souligne à nouveau par sa mise en scène : avec l’utilisation récurrente du surcadrage qui place les personnages presque dans des cases de BD, même effet avec des dialogues face caméra où la profondeur de champ est réduite, ou encore par l’utilisation des couleurs marquées presque exagérées des comics, le rose des salles d'hôpital, le violet du costume de Monsieur Glass… .Et que le spectateur se rassure : M. Night Shyamalan a tout de même concocté un affrontement final dans les règles de l’art sans oublier de conclure par son traditionnel twist.

Quant à nous spectateurs, nous sommes questionnés sur nos croyances, notre foi, en ces êtres extraordinaires qui depuis des décennies nous régalent dans la fiction. C’est sur le parking d’un hospice après moult révélations que  Shyamalan  sonne l’heure de fin, et cette fois les adieux semblent définitifs. Le bilan est mitigé, certaines pirouettes scénaristiques sont franchement ratées mais Glass véhicule de belles et inédites idées sur le surnaturel que l’on pensait jusque-là prisonnier de l’empire Marvel.

S.D.