Parce qu’ils ont été privés d’amour, les « Orphelins » souffrent d’une étrange pathologie : une obsession pour la violence envers eux-mêmes et les autres. Ce gang de grands garçons ont cependant la chance d’avoir croisé Jessica, une reine, une cheffe, un gourou, à la croisée entre Xena la guerrière et Tomb Raider, qui les recueille et les protège.

Elle est leur mère, ils sont des frères, vivent et dorment tous ensemble dans l’illégalité d’un pavillon squatté. Pour les sauver de leur mal intérieur, Jessica doit leur réapprendre à aimer.

Jessica Forever baigne dans l’univers très référencé des jeux vidéo dont ses auteurs Jonathan Vinel et Caroline Poggi sont de grands adeptes. Le monde extérieur est indéfinissable ou des plus neutres (banlieues grises, forêt, centre commercial) et semble se construire au fur et à mesure qu’on le parcourt, avec toutes les surprises et les dangers que cela peut comporter. L’ennemi est une armée de drones, ce nouvel engin de guerre piloté à distance que l’on voit larguer des bombes à la télévision. Ici, ils incarnent une milice redoutable à l’affut de l’Orphelin.

Visuellement moins baigné de nostalgie que leur dernier court métrage After School Knife Heart filmé en 16mm (sorti en salle sous l’anthologie Ultra Rêve aux côtés de Yann Gonzales et Bertrand Mandico), Poggi & Vinel (et leur cheffe opératrice Marine Atlan) optent pour une image numérique rutilante, même si l’imagerie des années 90 reste majoritaire dans les costumes et la bande-son. Mais on aurait tort de caractériser le film de générationnel tant la révolte qui l’habite est atemporelle. La jeunesse abandonnée, celle qui lutte et survit n’appartient à aucune époque. Ce qui nous est plus contemporain c’est la nécessité d’une héroïne plus que d’un héros, Jessica, interprétée par Aomi Muyock, révélation de Love de Gaspard Noé. Cette femme magnétique est capable à elle seule de dompter et consoler les mauvais garçons, qui sous leur carapace virile cachent des cœurs blessés et mutiques qui ne se confient qu’en voix-off.

Dans la continuité de Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, récompensé en 2014 de l’ours d’or du meilleur court métrage, le couple de cinéastes Caroline Poggi et Jonathan Vinel exposent leur appréhension très singulière du monde, un royaume de fantaisies et de violences, où la fraternité, ici belle dame au regard bleu, serait à jamais reine.

S.D.