Deux ans après avoir dansé les claquettes dans La La Land, Ryan Gosling retrouve Damien Chazelle dans un tout autre registre. Moins pratique pour le déhanché, le costume de cosmonaute lui sied tout aussi bien dans First man, le premier biopic consacré à l’astronaute le plus célèbre de la galaxie : Neil Armstrong.

Le jeune Chazelle (33 ans !) s’intéresse aux dix années qui ont précédé le grand voyage d’Apollo 11 de 1969 pendant lesquelles Armstrong passe de l’Armée de l’air américaine au programme d’expédition lunaire de la NASA. Son talent de pilote mais aussi sa force mentale lui permettront, après plusieurs tentatives ratées, d’être le premier homme à avoir foulé le sol de la Lune.

Armstrong est présenté comme un homme froid et triste, obsédé par l’exploit lunaire sans y chercher une glorification personnelle, contrairement à son co-pilote Buzz Aldrin. Il faut dire que le pauvre Armstrong est hanté par un drame : la mort de sa fille à peine âgée de deux ans. Le film véhicule ainsi l’idée que la perte d’un enfant aurait façonné en Armstrong une facette presque de kamikaze à qui le sort de Gus Grissom, Ed White et Roger Chaffee (tous trois décédés dans la première mission Apollo ratée) ne fait pas peur. Pourtant l’astronaute y laisserait une famille aimante, sa femme Janet (Claire Foy) et leurs deux fils. Mais on le sent, la seule histoire d’amour à laquelle il tient c’est bien celle qu’il entretient avec les machines qui le malmènent. Que ce soit en avion, en fusée, ou en LLRV (simulateur de vol lunaire), ce sont les sensations fortes du danger qui réveillent ses sentiments, jusqu’à l’épanouissement ultime lors de l’alunissage, la plus belle scène du film. Pas de musique grandiloquente (par ailleurs à nouveau composée par Justin Hurwitz) ni de gros plan sur un sourire, c’est visière fermée, dans le plus grand silence, que Damien Chazelle filme Armstrong posant un premier pied sur la Lune.

De la même manière que son protagoniste, Chazelle ne semble pas vouloir en remettre une couche à l’URSS ni glorifier son Amérique natale avec First Man. Plusieurs scènes, certes furtives, rappelle que le budget étourdissant de la conquête spatiale allait priver ceux qui en auraient le plus besoin, les minorités, les étudiants. Manque aussi à l’appel : le célébrissime planté de drapeau Stars and Stripes sur le sable lunaire.

Même si le film apporte un aspect documentaire sur les préparatifs de l’envol, il est surtout concentré sur l’humain derrière le casque blanc. Un personnage mutique, interprété par un Ryan Gosling toujours au sommet (et décidément cantonné aux rôles de celui-qui-ne-dit-rien-bien-qu’il-en-ait-gros), qui refuse de parler de son deuil, de prévenir ses enfants de la possibilité d’un non-retour sur Terre, et qui impose son choix de vie à sa femme qui, en l’épousant, rêvait d’une “vie normale”.

L’oscarisé Damien Chazelle signe un troisième film moins excité que les précédents dans une pellicule grainée de toute beauté. Sans chercher à montrer ce que l’espace a d’infini et de spectaculaire il révèle ce qu’il est à taille humaine : un trou noir à qui Neil Armstrong laisse son secret.

S.D.