Même si elles minoritaires sur les trottoirs où les couloirs du métro, 40 % des sans-abris en France sont des femmes. C’est pour se protéger de la violence de la rue qu’elles se font discrètes ou se griment. Pourtant ces “invisibles” sont bien réelles et Louis-Julien Petit a eu la riche idée de les mettre sur les devants de la scène.

Nous sommes à L’Envol, un centre d’accueil de jour du nord de la France rondement géré par Manu (Corinne Masiero) et Audrey (Audrey Lamy), avec l’aide d’Hélène (Noémie Lvovsky) et d’Angélique (Déborah Lukumuena, révélée en 2016 dans Divines de Houda Benyamina). Suite à un ordre préfectoral, le centre est contraint de fermer ses portes. Manu et Audrey ont trois mois pour terminer leur mission : réinsérer dans la vie active les dizaines de femmes de tous âges et toutes origines qui se rendent chaque jour à L’Envol. Parmi elles, il y a Chantal qui a fait de la prison pour meurtre et ne peut s’empêcher de le dire à ses potentiels employeurs, Catherine, qui s’endort systématiquement pendant les rendez-vous, ou encore Julie, la benjamine du centre qui n’assume pas son statut et s’invente une vie familiale. Mise à part ces deux derniers, tous ces personnages sont interprétés par des comédiennes amatrices ayant elles-mêmes connu la rue. Leur naturel incroyable fait parfois penser à la sincérité du jeu des comédiens de Bruno Dumont. Louis-Julien Petit l’avoue, le Nord est une mine d’or pour dénicher les visages et les personnalités d’un casting éclectique. Ces femmes ont une telle force de présence qu’elles parviennent totalement à exister aux côtés d’actrices populaires comme Corinne Masiero, Audrey Lamy et Noémie Lvovsky dont on sent d’ailleurs la vraie bienveillance envers leurs collègues non professionnelles sur le plateau. Le film contient ainsi de grandes réjouissances dès sa genèse, qui se transmettent dans son rendu final : pas question de misérabilisme, Chantal, Catherine, Julie et les autres sont des héroïnes. Au centre, elle portent d’ailleurs toutes des pseudonymes de figures féminines célèbres, Simone Veil, Brigitte Macron, Lady Di… ce qui donne bien sûr lieu à des échanges véritablement comiques.

Les “invisibles” c’est aussi les travailleuses sociales qui consacrent toute leur énergie à leurs semblables en détresse, quitte à parfois délaisser leurs propres problèmes. A presque quarante ans, Audrey vit avec son frère (Pablo Pauly), et Hélène ne supporte plus son mari condescendant et ses enfants gâtés. C’est dans leur travail, auprès de ces courageuses SDF, qu’elles tirent elles aussi une grande leçon de vie. Si ce schéma scénaristique peut sembler de prime abord très attendu et dégoulinant de bien-pensance, le film se révèle empreint d’une vraie émotion et d’un humour réussi. De plus, s’il n’évite pas certains écueils du film social, il adopte un point de vue critique, non seulement sur la bureaucratie administrative, mais aussi sur l’ensemble des protagonistes du film.

S.D.