« Si j’avais su j’aurais pas v’nu !».

Au-delà de la réplique culte de petit Gibus, le film d’Yves Robert présente un double intérêt pour notre époque quand il met en scène la « guerre » menée par les enfants de villages voisins.

Tout d’abord et au premier degré nous pouvons rire franchement grâce à cette adaptation assez fidèle du roman de 1912 de Louis Pergaud. Ici, les enfants retiennent mieux les paroles du chant du départ que les conditions pour être électeurs, histoire de motivation me direz-vous ! Vouloir inculquer aux enfants des notions qui à leurs yeux leur semblent inutiles, sauf pour le premier de la classe, s’avère difficile pour l’instituteur, auquel s’identifie vraisemblablement Louis Pergaud, qui a été maitre lui-même, et qui est remarquablement joué par Pierre Trabaud. Cet homme est à ce titre le seul adulte qui semble doué de raison dans le village. Les enfants quant à eux préfèrent s’affronter avec leurs pairs de la commune voisine et pour cela développent un sens aigu de l’organisation et de la stratégie.

S’attachant à décrire ainsi la vie de ces enfants, le réalisateur porte un regard tendre sur eux mais aussi un regard critique sur une société qui ne les comprend pas. Les parents présents, le plus souvent par allusion, « qu’est-ce qu’on va prendre quand on rentrera », sont montrés comme bêtes ou méchants, illogiques dans leur exigences, au contraire de ces enfants qui font preuve d’un pragmatisme revendiqué. Même s’ils ont des difficulté à appréhender le sens de notions comme l’égalité (comme les adultes après tout), ils en testent l’esprit et la vivent comme une évidence. Yves Robert réussi donc à concilier la bonne humeur grâce à ses dialogues jubilatoires et les situations du plus haut comique, tout en développant une vision humaniste de la société qu’il n’aura de cesse d’exposer dans ses œuvres suivantes.

Pour autant, on ne peut nier que son long métrage a les défauts de son époque : au moment de sa sortie, nous sommes dans les jours qui suivent la fin de la guerre d’Algérie. Il ne faut pas se leurrer, le scénario semble avoir été en partie écrit dans le but d’effacer des mémoires les exactions de l’armée française dans ses colonies. La guerre des boutons nous dévoile ainsi une guerre qui en a tout l’air avec ses chants, ses gradés, ses armes et ses prisonniers. Même si l’affrontement entre les différents belligérants ne fera au final aucune victime sérieuse, les enfants singent tout de même les adultes en recourant à la torture qui, si elle n’est pas immédiatement physique, est d’emblée psychologique par le fait de tourner en ridicule le prisonnier. Il ne faudrait pas non plus occulter que le but premier de l’ablation des boutons est de provoquer un châtiment corporel par les parents du supplicié. Enfin, ce long-métrage témoigne de l’inégalité entre les sexes dans la France des années 50. La seule fille mise en scène n’est là que pour recoudre les boutons, soigner les blessés et balayer le sol du repère des garçons.

On peut rire ici franchement. Mais il faut néanmoins recontextualiser cette œuvre et ainsi faire preuve de discernement par rapport au message que porte en filigrane cette réalisation par rapport à nos guerres coloniales. Un bémol nécessaire quand il s’agit de considérer la place de ce long-métrage dans l’histoire du cinéma.

Laurent Schérer