An Elephant sitting still nous plonge vingt-quatre heures dans une cité industrielle chinoise non définie, où se croisent quatre personnages tourmentés. Wei Bu, un adolescent harcelé à l’école, est menacé de mort après avoir involontairement envoyé un de ses camarades à l’hôpital. Le grand frère de la victime, Yu Cheng, se sent obligé de partir à la poursuite de Wei Bu pour venger son cadet. Huang Ling délaissée par sa mère, entretient une liaison avec le proviseur adjoint de l’école, liaison rendue soudainement publique sur internet. Wang Jin, la soixantaine, vit chez son fils et sa belle-fille et s’occupe avec joie de leur petite fille. Cependant, ses enfants veulent se débarrasser de lui et le placer en maison de retraite. Le film dresse le portrait de ces quatre âmes en peine dont personne ne veut et qui cherchent la même échappatoire : la promesse qu’à Manzhouli, une ville non éloignée de là, existe un éléphant qui se tiendrait assis tranquille toute la journée, sans bouger, malgré l’agitation autour de lui.

Dans la nouvelle écrite par Hu Bo dont le film est tiré, l’auteur se focalise sur le point de vue de Yu Cheng, le premier à répandre la rumeur de l'éléphant salvateur. Cette adaptation, elle, refuse de privilégier la vision de l’un de ses protagonistes. La caméra omnisciente postée sur steadycam file derrière eux, souvent de dos (façon Gus Van Sant), comme l’ennemi prêt à sévir. Toujours plongés dans un brouillard, les personnages flottent comme des fantômes dans les ruelles d’une ville en gris et bleu dont les éclats de lumière doivent être provoqués, par exemple par Wei Bu lorsqu’il lance des allumettes dans sa cage d’escalier. La torpeur et la dépression pèsent extrêmement lourd sur le film qui parvient pourtant, malgré les presque quatre heures qu’il compte, à filer sans que l’on s’en rende compte.

Dans le paysage cinématographique, Hu Bo n’aura tristement été qu’une étoile filante. Le cinéaste s’est suicidé à 29 ans, peu de temps après avoir terminé son film. Difficile alors de ne pas le voir comme un objet testamentaire, révélant les tourments de son auteur. “Le monde est répugnant” peut-on y entendre. Serait-il là, dans ce personnage qui se défenestre au début après avoir découvert la tromperie de sa femme ? Ou dans ce petit chien dévoré sous les yeux de son maître par un plus gros que lui ? Hu Bo ne donne évidemment jamais de réponse, mais laisse planer son propre personnage, que l’on imagine alors comme un cinquième spectre au récit. Tout va mal mais tout peut s’arranger si on l’en croit l’épilogue, le plus beau plan du film et sans doute de cette rentrée cinématographique : nos quatre héros esseulés, qui jouent au ballon sur la route de Manzhouli à la lumière d’un autocar dans la nuit.

Entre Jia Zhangke, Bi Gan, Hou Hsiao Hsien ou encore Wang Bing, on ne peut pas dire que le cinéma chinois contemporain soit baigné de quiétude. Et ce n’est pas l’Elephant sitting still de Hu Bo qui changera la donne, mais ce film restera indéfiniment dans les mémoires, comme une œuvre vertigineuse et tristement unique.

S.D.