Les admirateurs de Carlos Reygadas se délecteront de son nouvel opus. Les autres le trouveront peut-être un peu long. Clairement le spectateur doit être prévenu : il va avoir affaire à un long métrage à la fois contemplatif et bavard. Cependant, une fois cet avertissement pris en compte, le film se laisse regarder avec beaucoup de plaisir et vaut largement les trois heures qu’il faut lui consacrer. Avec Nuestro tiempo, sélectionné à la Mostra de Venise, le réalisateur mexicain Carlos Reygadas nous offre une fois encore une œuvre hors norme d’une grande beauté formelle portée par des paysages magnifiques et une lumière sublime. Ce film qui se vit comme une expérience sensitive, nous invite à une autre forme de cinéma où le récit n’est pas le conducteur du film. Ainsi, l’exposition de 45 minutes montre un monde de « nature » où jouent les enfants et vivent les animaux. Pas véritablement de récit dans cette ouverture qui évoque son précédent film primé à Cannes en 2012, Post Tenebras Lux.

Le film met ainsi en scène Juan (joué par le réalisateur) un poète de renommée mondiale qui vit en famille avec ses trois enfants dans un ranch géré par sa femme Esther (Natalia Lopez sa femme à la ville) qui a une liaison avec Phil (Phil Burgers) un dresseur du ranch. Malgré son discours prônant l’amour libre, Juan se trouve pris d’une jalousie dévorante et vit très mal cette situation. Par ricochet Esther non plus, sa femme lui reprochant de ne pas mettre ses actes en accord avec son discours.

Amour versus possession, fidélité versus loyauté, sont donc les thèmes centraux de ce nouveau film.

En effet, Nuestro tiempo s’interroge sur l’intimité, sur la recherche d’un espace privé au sein du couple. Que signifient le besoin de ne pas tout dire et celui de tout savoir ?

Film plus bavard que le précédent, plus démonstratif, le réalisateur va employer de temps à autre la nécessité d’une voix off pour expliquer les sentiments de son personnage.

Film contemplatif qui donne à voir des paysages et des amours, il est aussi réflexif d’une relation amoureuse humaine complexe à laquelle sera renvoyée en contrepoint celle des bovidés : à la puissance et la brutalité des taureaux répond l’atermoiement et l’ambiguïté des hommes. Le trouble amoureux est donc la rançon de la communication humaine. Cette communication, et sa difficile mise en œuvre, sera traitée aussi sous l’aspect de la technologie  moderne : le téléphone personnel qui aurait dû permettre une vie privée a pour effet paradoxal de la montrer au grand jour. C’est en effet en surveillant le smartphone de sa femme que Juan peut confirmer ses soupçons à son égard, ce qui renforce la mésentente dans le couple : Juan reprochant à sa femme ses mensonges alors que celle-ci lui reproche de l’espionner.

Une réflexion profonde sur « notre temps », une analyse du « savoir-être » amoureux.

L.S.