La miséricorde de la jungle est un grand film de cinéma signé par le réalisateur rwandais Joël Karekezi, un autodidacte dont les parents ont été assassinés lors du génocide,

Xavier et Faustin, sergent et soldat rwandais en mission au Congo pour poursuivre les génocidaires, se réveillent un jour, seuls, leur régiment les ayant laissés endormis alors qu’en pleine nuit le camp était levé. Pour rejoindre les leurs sans tomber aux mains des « rebelles » ou des Congolais, les deux soldats entament un périple de tous les dangers dans une jungle hostile. Xavier est militaire depuis toujours. Orphelin élevé dans un camp, il a voulu rendre justice et traquer les génocidaires. Faustin est paysan, mais a souhaité rejoindre l’armée pour améliorer son sort. Xavier, en début de film, méprise et rudoie quelque peu Faustin qu’il considère comme un « plouc ».  Cependant, leur passage dans la jungle conduira ces deux hommes à se comprendre et s’estimer.

Ce que l’on ressent aussitôt, c’est l’atmosphère de cette jungle, admirablement bien rendue par des mouvements de caméra précis. En effet, Joël Karekezi joue habilement avec l’image, offrant au spectateur un cadre souvent resserré sur l’action qui ne laisse pas beaucoup  de place et conduit à une sensation d’étouffement, soit au contraire en nous proposant des plans d’ensemble très larges qui donnent le vertige et noient les personnages et le spectateur dans l’immensité de la jungle s’étendant à perte de vue.

Nous sommes en présence d’un film de guerre tel que La ligne rouge où l’on dénonce l’absurdité de la guerre. Il s’agit aussi d’en montrer la cruauté, comme dans Soldat bleu et ses massacres de civils. Mais surtout il s’agit d’un film de mal-être, d’étouffement qui rappelle le Aguirre de Werner Herzog. En effet, Xavier cite Dieu qui devient la métaphore du soldat qui utilise son arme comme instrument de justice divine… ou de vengeance humaine.

Car on est bien là au cœur du problème. Initiée par ceux qui souhaitent s’emparer des richesses, la guerre s’auto-entretient par esprit de vengeance. Et comme le craint le sergent Xavier, nous avons peur avec lui que cela n’ait jamais de fin.

Pourtant la fin du film offre une note d’espoir, peut-être un peu forcée, dans le possible pardon et la capacité de résilience de l’humain. Tout n’est peut-être pas si noir, comme nous le laisse à penser le gorille que croise dans la jungle nos deux soldats et qui finalement vaque à ses occupations sans se soucier des humains.

Malgré quelques maladresses (scène de massacre inutile, on avait déjà compris, ou passages hors jungle qui viennent parfois à contre point), le film est à regarder à la fois pour son sujet, pour une grande maitrise de la caméra, et pour une interprétation magistrale des acteurs. Un auteur à suivre.

L.S.