Durant l’été 2016, Laetitia Carton, réalisatrice et adepte de la danse, a emmené sa caméra Au Grand Bal de l’Europe, qui réunit chaque année près de deux mille personnes toutes férues de danses traditionnelles.

Qui sont ces drôles de gens qui se retrouvent au fin fond de l’Auvergne pour danser nuits et jours le temps d’une semaine ? Ce ne semble être ni la drogue ni l’alcool qui les font tenir, mais bien l'insatiable envie de danser la bourrée, la scottish, la polka ou la mazurka. Des jeunes, des vieux, des Français, des étrangers, aucune condition n’est requise pour entrer dans la danse, ni même la nécessité de connaître le pas. Même si certains avouent éviter les débutants, la bienveillance est de mise. Il en va de même pour le spectateur, et c’est là tout le talent de la metteuse en scène : sans rien y connaître à la danse, le film reste tout à fait passionnant.

Chaque visage capté dans la foule résume une petite idée de ce sur quoi nos relations sont aujourd’hui construites. “Est-ce qu’il est normal qu’un homme âgé invite une jeune fille à danser ?”, se questionne cette quadra - “elle ferait mieux de nous le laisser”, plaisante une autre. Est-ce que laisser un homme mener la danse est une idée totalement vieux jeu ? - “moi j’aime bien quand on me demande avant” - “Qui a déjà senti qu’un homme profitait de la danse pour avoir la main baladeuse ?” - quelques doigts, timides, se lèvent…

Mais au Grand Bal, il y a aussi des hommes qui dansent avec des hommes, des femmes qui dansent avec des femmes, sans se poser de question sur ce que cela représente. Laetitia Carton dit à ce propos de très belles choses sur le désir. Pour les vrais amoureux de la danse, la proximité entre deux partenaires le temps d’une chanson, aussi intense qu’elle puisse être, répond à un désir particulier, non sexuel, lié à l’unique plaisir de ressentir l’autre dans la chorégraphie.

Comme les festivaliers enivrés qui ne différencient plus les jours des nuits, le documentaire de Laetitia Carton est hors du temps. Quand les lumières de la salle se rallument, difficile de savoir s’il s’est passé une ou deux heures, tant on est emmené loin dans cet événement qui, sans niaiserie, est empli d’empathie, d’humour et de tolérance... de quoi donner envie de se mettre au tango !

S.D.